Précarité dans la relation conjugale

Par Roger Herla - août 2016

La précarité est au cœur de notre époque et de nos sociétés « en crises ». Considérée par certains comme naturelle et féconde, elle est surtout, selon nous, problématique et révélatrice des inégalités entre humains.

C’est le cas notamment quand les violences conjugales s’appuient sur une précarisation du quotidien et de l’intimité. Et la situation des femmes migrantes victimes de violences conjugales nous montre avec force qu’à chaque domination subie correspond sa précarité et que dominations et précarités interagissent en se renforçant.

Au CVFE, nous sommes persuadé-e-s qu’une connaissance fine des phénomènes de précarisation des existences est un outil essentiel pour toute personne, association ou institution publique dont les missions consistent à accompagner les femmes sur des chemins d’inclusion sociale et d’émancipation. C’est dans cette optique que s’inscrit ce texte centré sur les violences conjugales et la précarité. La précarité est un des piliers de l’idéologie et des politiques néolibérales largement dominantes aujourd’hui, avec des conséquences particulières pour les femmes et les personnes en situation vulnérable, ce que nous investiguons dans une seconde analyse avec un angle d’approche plus large[1].

Dans les pages qui suivent, nous précisons donc le regard, nous zoomons, pour aborder successivement les violences conjugales et la précarité de façon générale puis le vécu spécifique des femmes migrantes, victimes de violences conjugales dans le cadre du regroupement familial. Nous soulignerons ensuite comment les précarités peuvent se recouvrir et se nourrir mutuellement. Enfin, pour conclure, nous tenterons de voir comment cette analyse de la précarité invite à confirmer ou à transformer des pratiques -professionnelles ou non- visant à l'empowerment des femmes.

Contrôle et insécurité font bon ménage

« Avec Furtos, la notion de précarité fait référence non seulement à un état objectif mais aussi subjectif. Au-delà du manque objectif des sécurités basiques de la vie quotidienne, la précarité est liée au sentiment d’avoir ou pas la maîtrise de son existence actuelle ou à venir. Elle est aussi de l’ordre du ressenti et entre ainsi dans le champ de la santé mentale. Elle peut générer une angoisse quant au futur et peut provoquer (...), une perte de confiance (en soi,) en l’avenir et en la société »[2].

Au cœur des violences conjugales, le contrôle par l’auteur-e est une constante. Le degré de contrôle peut varier ainsi que les espaces du quotidien qui en sont l’objet (faits et gestes dans la maison, déplacements et fréquentations, accès aux revenus, achats, téléphone, puis aussi vocabulaire employé, habillement, maquillage,…), mais contrôle il y a.

Certaines situations peuvent évoluer, pour un temps au moins, vers une grande prévisibilité : la victime a appris à « tenir sa place », elle vit dans une forme de subordination et les passages à l’acte de l’auteur-e ne sont plus « nécessaires » au maintien de la domination au sein du couple. Ça « fonctionne », en quelque sorte, et les violences deviennent quasi invisibles.

Pourtant, nous constatons qu’un grand nombre de femmes rencontrées dans nos différents services et (ayant été) victimes de violences conjugales doivent (ont dû) faire face à de hauts niveaux d’incertitude dans leur vie conjugale. Au contrôle sous différentes formes s’ajoute alors un sentiment d’insécurité élevé : comment va—t-il réagir quand il va goûter le repas, quand il va découvrir le bulletin du petit, quand son patron le remettra à sa place, quand elle reviendra plus tard que d’habitude du magasin, quand sa sœur à elle téléphonera à l’improviste ? Ira-t-il conduire le petit à l’école comme prévu? Aura-t-il bu après le foot ? Essaiera-t-il de me forcer à un rapport intime comme la dernière fois ? Me quittera-t-il à nouveau ? Remplira-t-il le frigo comme il l’a promis ? Dit-il la vérité quand il affirme que, dans ce pays, je n’ai aucun droit s’il me met à la porte ?

Même si la relation de couple ne se réduit pas (encore) à cela, même si des zones de complicité et d’espoir sont parfois préservées, les questions que se pose la victime sont potentiellement infinies et le pouvoir (la domination) de l’auteur passe alors par sa capacité à entretenir l’incertitude et la peur (parfois la terreur) qui l’accompagne. Autrement dit, le degré de domination est proportionnel à la précarité intime imposée à la victime. Et les peurs qui la tenaillent sont des peurs de perdre des éléments fondamentaux de son identité : la santé (physique et mentale), la garde de son enfant, son emploi, ses amis, le soutien de sa famille, le statut de séjour, celui de femme mariée, voire l’envie de vivre.

Précariser pour mieux régner

Voyons comment Jean Furtos[3], via ses réflexions sur les origines sociales des souffrances psychiques, peut nous aider à mieux saisir ce qui se joue là. Pour ce psychiatre français, une société est précaire quand elle suscite chez de nombreux individus la peur de perdre les « objets sociaux » qui permettent d'être reconnu, d'avoir une place et donc une identité sociale. Parmi ces « objets » si importants, on retrouve le logement, un statut de chômeur, une pension décente...ou encore pour certaines et certains un droit de séjour sur notre territoire.

Il a mis en évidence que la précarité sociale (néolibérale) interagit avec au moins deux autres niveaux de précarité :

Nous pouvons en déduire que l’auteur de violences telles qu’elles ont été brièvement décrites ci-dessus ne prolonge pas le « travail » qui, normalement, a été accompli par la famille et les institutions. Au contraire, il s’appuie -plus ou moins consciemment- sur la précarité psychique constitutive de sa compagne pour asseoir son pouvoir.

Elle, tout comme lui d’ailleurs, est dépendante de ses liens avec les autres, de leur regard, de leur soutien, de leur reconnaissance. Elle l’est plus encore d’un compagnon qui base son contrôle sur l’isolement social de sa compagne. Elle l’est également si, dans une société où l’autonomie financière des femmes est encore loin d’être généralisée, elle dépend comme bon nombre d’entre elles du maintien de sa vie de couple pour survivre au plan matériel et social. Et enfin elle l'est d’autant plus, selon nous, si ses expériences de vie passées (notamment dans sa famille d'origine) ne lui ont pas permis d'acquérir ou de renforcer ses confiances.

C’est notamment cette dépendance élevée qui explique le haut degré de précarité psychique dans lequel se retrouvent des femmes victimes de violences conjugales, et dans certains cas leurs enfants.

Une précarité exacerbée –comme celle endurée par la grande majorité des personnes sans abri, par exemple, mais aussi par de nombreuses personnes intégrées à un monde salarié qui protège de moins en moins « de la peur de perdre » - met à mal, fragilise, voire lamine les trois confiances (en l’autre, en soi, en l’avenir).

De façon tout à fait analogue, Jean Furtos nous permet de regarder les violences conjugales, plus précisément les violences conjugales en tant que processus de domination basé sur le maintien d’un certain niveau de précarité intime, comme une entreprise de fragilisation des trois confiances.

En fait, quand on les regarde sous cet angle, c’est bien la possibilité d’accéder à une vie digne qui est réduite plus ou moins progressivement et plus ou moins intensément par les violences et par la précarité qu'elles induisent le plus souvent.

En synthèse, nous formulerons notre point de vue sur la précarité qui touche les victimes de violences conjugales en quatre points :

Migration, mariage et dépendance : cumul des précarités.

« Au fil du temps nous avons appris des femmes et de leurs enfants qu’il y a des histoires qui, plus que d’autres, racontent des parcours de désillusions et nous parlent de privations, d’absence de ressources économiques et sociales. Des histoires où la honte, la peur, la fragilité du statut sur le territoire immobilisent et empêchent de demander de l’aide. Ce que ces familles migrantes ont donc de particulier en dehors de la complexité de leurs trajectoires ou de leur composition, c’est que ces femmes et donc leurs enfants vivent simultanément plusieurs formes d’oppression (…) »[4].

Nous continuons à voyager au cœur de la précarité, en espérant mieux comprendre comment celle-ci se construit sous ses différentes formes, à qui elle profite et comment. Après nous être plongé-e-s dans la précarité vécue par de nombreuses femmes victimes de violences, accentuons encore notre zoom pour aborder la situation des femmes migrantes exposées aux violences conjugales.

Deux intervenantes du CVFE ont été invitées à prendre la parole lors d’une Journée d’étude organisée par l’Université de Liège en octobre 2015[5]. Investies dans l’animation d’un groupe de femmes autour de la question de la parentalité en contexte de violences conjugales, elles ont choisi de mettre l’accent sur le parcours des femmes migrantes et ont montré comment celles-ci étaient confrontées à plusieurs niveaux de précarité, autrement dit comment elles se situaient à l’intersection de plusieurs dominations et précarisations[6].

Leur vécu est spécifique en plusieurs points et ces femmes elles-mêmes méritent évidemment une attention particulière en soi. Plusieurs associations dont la nôtre leur apportent à juste titre un soutien nécessaire[7].

Mais nous pensons que leur situation peut aussi aider à comprendre ce que vivent les autres femmes. Dans le sens où de nombreuses femmes primo-arrivantes victimes de violences conjugales dans le cadre du regroupement familial sont exposées à une sorte d'exacerbation, d’intensification de la précarité de par leur position de vulnérabilité au niveau économique (classe), conjugal (genre), migratoire (statut de séjour) et racial. Il ne s'agit pas de rabattre leur expérience sur celle des autres : toutes les femmes ne sont pas touchées à un même degré ou de la même façon par la précarité. Mais en même temps, nous faisons l'hypothèse que le vécu de l'une n'est jamais complètement étranger à celui d'une autre. Et que le côté spectaculaire et quelquefois terrifiant de ce qui apparaît quand les femmes primo-arrivantes osent se raconter peut nous permettre de deviner ce que vivent ou pourraient vivre, à des degrés divers, de nombreuses femmes dont le statut de séjour ne dépend pas de leur cohabitation avec leur conjoint.

« Il me dit qu’ici je n’ai rien, je ne suis rien, je ne peux rien. Je travaille au noir pour gagner 170 euros par mois. Dans ma maison, avec mon mari et mon enfant, rien ne m’appartient. J’ai moins de droits que mon enfant, les allocations familiales sont à lui, la maison est à lui, les meubles sont à lui, la voiture est à lui. Je ne peux rien toucher, rien déplacer : j’aimerais décorer chez moi à mon goût, mais il me l’interdit. Tout est délabré. Mes enfants dorment dans la chambre de ses premiers enfants avec les vieux lits en fer. J’ai demandé pour repeindre en couleur, il m'a dit qu’ici c’était pas l’Afrique et qu'il n’avait pas envie de vivre dans une maison carnaval comme chez nous.

Avant, il me disait qu’il aimait ma culture, mon pays, mais aujourd’hui, on est des bêtes sauvages, des singes arriérés. Je ne peux plus cuisiner la nourriture de chez nous. Je me demande pourquoi il est venu me chercher là-bas car je vois qu’il n’aime pas me voir heureuse. Je vis avec un homme raciste qui impose la dictature et la privation et qui vit librement de son côté. Je me sens étrangère dans mon propre foyer, je me sens inutile, je me sens invisible comme un fantôme quand je marche dans la rue. J’ai l’impression que personne ne me voit, comme si je n’existais pas. C’est impossible de continuer et en même temps, c’est impossible de rentrer chez moi, mes parents et ma famille ne l’accepteraient pas.»

Ces propos sont repris de l'intervention d’Aïcha Aït Hmad et Nadia Uwera, lors de la journée d'étude évoquée ci-dessus. La situation que décrit cette femme est terrible et forcément singulière. Mais on retrouve fréquemment dans les récits que nous font les femmes migrantes plusieurs des éléments de violence et de précarisation de l'existence qui sont présents dans celui-ci.

Les violences psychologiques, verbales et économiques s'interpénètrent. Sexisme et racisme semblent se soutenir mutuellement. L'imprévisibilité liée aux violences subies et le sentiment d'insécurité qui l'accompagne sont vécus dans un contexte d'isolement lié à la migration et de dépendance administrative aiguë. Non seulement l'expérience de précarité vécue par ces femmes est aggravée par l'éloignement de leur famille d'origine et donc des ressources traditionnelles dans le cadre de violences au sein du couple. Mais en plus plane dès l'origine des violences une menace qui dépasse et englobe toutes les autres : celle de la perte de ses droits. Car les femmes qui migrent pour retrouver un compagnon, un mari dans le cadre de la procédure de regroupement familial doivent a priori cohabiter avec cet homme pour préserver leur titre de séjour et tous les droits qui y sont associés.

Pour de nombreuses femmes quitter le domicile et le conjoint comporte le risque de recevoir un ordre de quitter le territoire et donc de plonger dans la précarité de la clandestinité. Pour ces femmes-là, l’oppression est entretenue par les politiques d’immigration et les politiques économiques.

La législation belge prévoit bien de maintenir ces droits pour les femmes (ou les hommes) primo-arrivantes qui peuvent démontrer qu'elles ont été victimes de violences. Mais outre que cette loi reste insatisfaisante[8], les victimes ignorent la plupart du temps son existence et sont régulièrement maintenues volontairement dans l'ignorance par leur conjoint.

Quand les sphères de précarité se superposent : la femme-objet

« Pour beaucoup d’entre elles se retrouver seules, en situation de mono parentalité est un anti destin. Cela va à l’encontre de leurs valeurs de leur rêve et de leurs capacités. Déposer plainte, se séparer ou simplement se distancier de leur compagnon augmente la détresse de nombreuses femmes. Ne pas causer de soucis au compagnon l’emporte souvent sur le souci de soi (…) Les histoires qui nous sont racontées oscillent entre un passé où tout était possible et un présent d’humiliation. L’homme qui les opprime est aussi celui qui leur donne une identité. Il est difficile pour de nombreuse femmes abîmées par des parcours de violences et d’exils multiples de se faire confiance, de croire en soi en ses capacités en ses besoins, de croire en son avenir, de croire en la justice de croire simplement en l’autre »[9].

On mesure sans doute mieux le degré et la nature de la précarité vécue par ces femmes primo-arrivantes quand on sait que, chez beaucoup d'entre elles, de toutes les peurs qu'elles éprouvent au fil du temps, c'est celle d'être « jetée » qui est la plus grande. Et c'est le fait d'avoir été « jetée » effectivement qui provoque la plus grande inquiétude, la précarisation la plus intense.

Nous pensons que c'est le résultat de la superposition des sphères de la précarité néolibérale et de la précarité intime avec celle qui est liée à l’exil et au statut d’étrangère sur un territoire.

Analysons à présent cette situation en termes de rapports sociaux. Autrement dit prenons en considération le fait que ces femmes appartiennent à des groupes sociaux en lutte avec d’autres groupes pour l’acquisition ou la préservation d’avantages très concrets. Nous voyons alors que la femme étrangère primo-arrivante victime de violences conjugales se situe dans les groupes dominés à la fois du point de vue du genre (homme/femme) et de la nationalité (étranger/nationaux), mais aussi le plus souvent de la race (blancs/non-blancs) et de la classe (classe possédante/classe populaire).

Bien sûr, la réalité des relations sociales est complexe, tout ne peut se lire sur ce mode binaire. Certains des auteurs de violences dans le cadre du regroupement familial sont eux aussi non-blancs, bloqués au chômage ou balloté d’un emploi précaire à un autre, etc.

Mais cette approche par les rapports sociaux nous permet d’affiner l’analyse des liens entre « violences conjugales » et précarité. On constate en effet qu’on peut faire correspondre à chaque niveau d’inégalités et de domination sa forme de précarité : précarité sociale néolibérale pour les rapports de classe, précarité intime pour les rapports de genre, précarité des droits pour les rapports de « race » et ceux liés à la nationalité.

Pour l’auteur de violences, induire de la précarité dans la vie des victimes et saper leur capacité à (se) faire confiance et à nouer des liens de solidarité sont des moyens efficaces de maintenir un pouvoir sur ces personnes et donc de maintenir les avantages de ses propres groupes d’appartenance (dans le cas des violences conjugales dans le cadre du regroupement familial en l’occurrence, celui qui est en position de pouvoir est un homme, belge, souvent blanc, détenteur d’un revenu dont dépend le foyer, …).

Dans la continuité de ces observations, notons qu’un haut niveau de précarité et les dépendances qu’elle entretient constituent un climat propice à la « réification » de la femme : c’est-à-dire au fait de la considérer d'abord en tant qu'objet.

Ce mouvement est encouragé, entre autres, par un contexte social néolibéral qui fait notamment de la consommation –au sens large- le moyen le plus évident d’exister socialement. En ce sens, le cas des femmes « jetées » est un exemple frappant de chosification des humains à l’ère de la mondialisation.

Nous pensons en effet que les violences (réifiantes) subies par les femmes « jetées » dans le cadre d’un regroupement familial sont liées à des croyances, des traditions et des rapports de pouvoir non-spécifiques à notre époque, mais qu’elles sont aussi encouragées par les valeurs dominantes aujourd’hui.

Pour appuyer notre propos au moment de dénoncer à quel point la victime peut être -plus ou moins ponctuellement selon les situations- considérée comme un objet, nous prendrons appui sur sept éléments qui caractérisent un objet selon la philosophe Martha Nussbaum[10]. Il faut alors remplacer dans la liste ci-dessous le mot « objet » par le mot « femme » ou par celui de « victime ».

Il y a donc : l’instrumentalité (l’objet/la femme est un moyen), l’inertie (l’objet/la femme n’est pas un agent capable de se mouvoir par lui-même), l’absence d’autonomie (l’objet/la femme ne choisit pas, ne décide pas), l’absence de subjectivité (l’objet/la femme n’a pas de sensibilité, de point de vue, donc de capacité à dénoncer des inégalités par exemple), la substituabilité (l’objet/la femme est échangeable contre d’autres objets), la possession (l’objet/la femme peut être possédé par un autre que lui-même, il peut être acheté, vendu), la violabilité (l’objet/la femme n’a pas de barrière protectrice, on peut le pénétrer, le casser, l’écraser).

Il n’est pas nécessaire que l’ensemble de ces éléments soient rassemblés pour pouvoir dire d’une personne qu’elle est traitée en objet. Mais ils peuvent nous aider à mieux repérer et définir ce rapport particulier à autrui et ce contre quoi ont à lutter des pratiques visant à l’empowerment des personnes.

Quelles conséquences sur nos pratiques d'empowerment ?

En conclusion, nous proposons d’envisager brièvement les conséquences d’une telle analyse de la précarité sur nos pratiques d'empowerment aux côtés des femmes.

Tout d’abord, les apports de Furtos sur la précarité et ses effets sur les humains peuvent nourrir notre façon de parler des violences conjugales, mais aussi, en miroir, permettent de ré-affirmer les missions du Collectif dans son ensemble dans le contexte de précarisation croissante de nos sociétés. Nos missions relèvent bel et bien d’un accompagnement pluridisciplinaire dans les tâches suivantes :

Chaque service, chaque intervenant-e ou militant-e déclinera ces trois tâches en différentes interventions tenant compte du rythme et des demandes des premières concernées. Par exemple, un refuge pour femmes et leurs enfants sera « d’abord un espace hors de l’imprévisibilité de l’arbitraire du conjoint, puis un espace de repos de réparation physique et psychique ». Mais, puisqu’il y a « cette évidence que lutter contre les différentes formes de précarité passe par la sortie de l’isolement, donc par l’invention de liens de solidarité », cette maison d’accueil pourra devenir « un lieu où se retisse l’appartenance à un groupe, à une communauté, un lieu où nourrir le sentiment d’appartenance à une société, à l’humanité »[11].

Les interventions s’attaquant aux précarités vécues par les femmes victimes de violences conjugales se joueront dès lors sur la frontière entre travail social et éducation permanente, entre accompagnement individualisé et création de la possibilité de se sentir appartenir à nouveau, de partager un point de vue sur les injustices subies et donc de recréer des solidarités concrètes.

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Pour citer cette analyse :

Roger Herla, "Précarité dans la relation conjugale.", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), août 2016. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/102-precarite-dans-la-relation-conjugale

Contact :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] Herla (Roger), « Précarité en contexte néolibéral », CVFE, 2016 (www.cvfe.be).

[2] Vandecasteele (Isabelle), Lefebvre (Alex), « De la fragilisation à la rupture du lien social : approche clinique des impacts de la précarité et du processus d'exclusion sociale », Cahiers de psychologie clinique 1/2006 (n° 26), p. 137-162. Consulté le 21/7/16 sur https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2006-1-page-137.htm

[3] Furtos (Jean), « Les effets cliniques de la souffrance d’origine sociale », 09/2007, Mental’idées n°11, Cahier publié par la Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale (LBFSM), pp.24-33. Disponible à l’adresse suivante : www.lbfsm.be/IMG/pdf/Mental_ideesno11-septembre2007.pdf; du même auteur "De la précarité à l'auto-exclusion", 2009, Ed. Rue d'Ulm, 60 p.

[4] Extrait de l’intervention orale d’Aïcha Aït Hmad et Nadia Uwera lors d’une Journée d’étude organisée par l’Université de Liège en octobre 2015 en collaboration avec l'association APALEM (Seconde Peau) et en présence du Docteur Jean Furtos : « Entre exclusion et auto-exclusion sociale, quelle clinique psycho-sociale en situation de précarité ? » (15 octobre 2015).

[5] Cf. note précédente.

[6] Pour approfondir cette notion d’intersectionnalité, se référer par exemple à cet article éclairant de Libération (http://www.liberation.fr/debats/2015/07/02/intersectionnalite-nom-concept-visant-a-reveler-la-pluralite-des-discriminations-de-classe-de-sexe-e_1341702), à un des textes fondateurs d’une analyse intersectionnelle des inégalités sociales traduit de l’anglais par Jules Falquet (https://cedref.revues.org/415); ou encore à Herla (Roger) « Violence conjugale et intersectionnalité », CVFE, 2010 (http://www.cvfe.be/publications/analyse/roger-herla/violence-conjugale-intersectionnalite).

[7] Notamment le Cire (« Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Etrangers ») en Belgique ou encore la Cimade en France, parmi d'autres.

[8] Voir Banza (Bijou) et Uwera (Nadia), « Violence conjugale et regroupement familial : des femmes se mobilisent pour une sensibilisation préventive », CVFE, 2013 (http://www.cvfe.be/publications/etude/bijou-banza-nadia-uwera/violence-conjugale-regroupement-familial-femmes-se-mobilisent).

[9] Aït Hmad (Aïcha) et Uwera (Nadia), intervention citée (cf. supra, note 3).

[10] Lamoureux (Diane), « Objectiver les situations, réifier les personnes », in Les possibles du féminisme. Agir sans « Nous », Montréal, Les éditions du Remue-Ménage, 2016, p.104. Dans ce texte, l’auteure s’appuie sur les réflexions de M. Nussbaum et montre que ces sept éléments se retrouvent, de façon plus ou moins marquée, dans la réification des femmes pauvres.

[11] Aicha Ait Hmad et Nadia Uwera, intervention citée (cf. supra, note 3).