Le polyamour, un mode de relation féministe?

Par Sandra Roubin, avec l'équipe - juillet 2019

Grâce aux apports de la littérature et aux témoignages de personnes polyamoureuses, cette analyse présente le polyamour à la fois en tant que manière d’être en relation et en tant que cadre de référence permettant une analyse critique des normes associées à la vie de couple, au genre, à l’amour romantique, à la sexualité,… Normes qui peuvent constituer des freins sur les chemins de l’émancipation empruntés par les femmes.

Plus précisément, les questions abordées ici via le polyamour nous confrontent à des thèmes aussi essentiels que l’origine des malaises ressentis dans le couple, la façon dont le sentiment de jalousie peut enfermer, les frontières pas toujours claires entre nos relations affectives, amicales et sexuelles, ou encore ce que signifie « l’amour », - qu’est-ce qu’aimer son/sa partenaire ou ses ami·es, sa famille? -, etc.

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Cette analyse met en lumière l’origine politique du concept de polyamour. Celui-ci a été développé afin de proposer un modèle différent du modèle dominant et historiquement oppressant qu’est celui de la monogamie. Il sera donc nécessaire, après avoir apporté une définition du polyamour, d’expliquer de quelle manière la monogamie, alliée à l’hétéronormativité1, peut participer à l’oppression des femmes et les confiner dans des positions de dépendance vis-à-vis des hommes. Seront ensuite abordé·es le contrat de mariage et la conception culturelle de l’amour qui entretiennent également le rapport de domination entre les hommes et les femmes.

Dans la dernière partie, un dialogue entre deux personnes polyamoureuses permettra de faire le lien entre la conception théorique du polyamour et sa pratique. A partir du récit de leurs expériences, nous verrons combien les relations affectives et la façon dont on fait famille sont influencées par notre bagage historique et culturel, et par notre contexte socio-économique. Comprendre l’articulation entre l’intime et le politique nous permettra d’analyser sous son prisme nos propres pratiques, de rendre visibles les normes monogames et de genre présentes dans nos relations, et de nous réapproprier la façon dont nous aimerions les vivre. Le polyamour, en tant que cadre de référence, pourra alors constituer un outil de déconstruction des normes dominantes et plus largement un outil de subversion politique, son impact pouvant dépasser le cadre strict de la sphère intime.

Définition

Depuis les années 60, la critique de la monogamie est un sujet brûlant dans beaucoup de mouvements progressistes, principalement féministes. Étroitement liée à celle du mariage, elle consiste non seulement à dénoncer l’exclusivité sexuelle dans le couple mais aussi et surtout l’institutionnalisation de celui-ci et la possession d’un individu par un autre.2 Lors des débats sur les modes de relation alternatifs à la monogamie dans les années 50 et 60, des variantes du concept de polyamour furent proposées. Le terme ‘polyamour’ s’est ensuite répandu aux états-Unis, dans certains milieux contestataires des années 90.3

L’idéal d’émancipation par rapport aux normes de conjugalité, sexuelles et de genre que porte le polyamour fait qu’il attire et rassemble beaucoup les personnes issues des tendances lesbiennes, gays, bisexuelles, queer, transgenre, BDSM, anarchiste, etc., ainsi que de mouvements écologiques, spirituels, religieux ou new age.4

En théorie, le polyamour signifie que toutes les personnes impliquées dans ce type de relations savent que leur·s partenaire·s peu·ven·t être en relation avec d’autres personnes. L’aspect particulier du polyamour est qu’il est basé sur certaines valeurs, comme l’honnêteté, la communication et la négociation respectueuse, l’intégrité et l’égalité.5

Comme son nom l’indique, ce mode de relation tourne autour du concept d’amour.

L’amour en polyamour ne se limite pas à un sentiment abstrait. Il correspond à des pratiques concrètes, requérant temps et énergie. Il se réalise dans le soin de l’autre et dans l’assurance que les partenaires se trouvent en sécurité émotionnelle. Pour ce faire, les personnes communiquent régulièrement afin de connaître les spécificités et insécurités de chacun·e, dans un climat de confiance et de respect, en veillant à ne pas être agressive/if ou manipulatrice/teur.6 7

Les relations en polyamour peuvent être sexuelles, émotionnelles, spirituelles, ou toute combinaison de ces éléments, selon les désirs et accords des personnes impliquées.8 Les spectres des possibles sont donc assez larges lorsque l’on sort des prescrits sociaux fort présents dans les relations monogames, et lorsque l’on réfléchit à ce que l’on désire réellement partager avec le ou la partenaire. Chaque relation en devient unique puisqu’elle englobe les désirs très spécifiques et individuels de chaque personne. Le polyamour ne correspond donc pas à une forme de relation particulière, il offre plutôt un cadre de référence en termes de valeurs et de pratiques qui sont supposées transparaître dans chaque relation, quelle qu’en soit la nature.

Concrètement, les schémas de relations polyamoureuses, appelés « polycules », peuvent être multiples (voir image ci-dessous9). On peut avoir des relations avec des partenaires qui sont également entre elleux en relation, ou non. La parentalité peut se partager entre deux partenaires ou plus. Des relations peuvent être asexuelles. Certaines relations sont dites primaires lorsqu’elles impliquent un plus grand engagement que pour d’autres (elles seront dès lors appelées « secondaires », « tertiaires », etc.).10 Les relations peuvent lier des personnes de même genre ou de genres différents. Etc. !

polycule

La définition qui est donnée ici du polyamour est bien entendu théorique et constitue davantage un idéal qu’une pratique effective. Les personnes polyamoureuses tentent néanmoins à travers beaucoup de bienveillance d’atteindre cet idéal. Il constitue un défi puisque la société et l’éducation qu’elle nous a transmise ne nous habituent pas à prendre soin à travers l’expression de nos besoins et envies et à travers la prise en compte de celleux des autres. Il s’agit donc avant tout de s’émanciper des diktats sociaux qui peuvent nous engluer dans des situations de vie qui ne nous conviennent pas, voire qui sont potentiellement oppressantes.

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Pour citer cette analyse :

Sandra Roubin, "Le polyamour, un mode de relation féministe?", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), juillet 2019. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/208-le-polyamour-un-mode-de-relation-feministe

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Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


 Notes

1 L’hétéronormativité est « un modèle normatif qui promeut et valorise les codes de l’hétérosexualité, c’est-à-dire la reproduction de rôles sexués actif/passif selon le genre que l’on performe. ». Source : Alexia Boucherie, Troubles dans le consentement, Bourin françois, 2019, p. 22.

2 Stevi Jackson et Sue Scott, « The personal is still political : Heterosexuality, feminism and monogamy », Feminism and psychology, 14/1, 2004, p. 152.

3 Christian Klesse, « Loving more than one », dans Anna G. Jónasdóttir et Ann Ferguson, Love, New-York, 2014, p. 64.

4 Ibid.

5 Ibid., p. 63.

6 Les valeurs du polyamour se rapprochent très fortement de celles qui sont relatives au concept de « consentement ».

7 Christian Klesse, « Loving more than one » … op. cit., p. 71.

8 Ibid., p. 65.

9 Tikva wolf, “The polycule characters”. Disponible sur: <https://kimchicuddles.com/post/116646961755/updated-the-polycule-characters-page> (Consulté le 30/07/2019)

10 Ces vocables et conceptions ne parlent pas à tou·tes puisqu’elles supposent une forme de hiérarchie entre les relations. À ce sujet, on peut se demander si une égalité parfaite entre les engagements accordés à chaque partenaire est désirable et/ou possible. Devrions-nous nous forcer à voir les personnes de manière égale ou accepter qu’à certaines périodes, nous préférons passer du temps davantage avec l’un·e qu’avec l’autre ? Ce désir de non « hiérarchie » ne provient-il pas de notre difficulté à gérer notre jalousie, possessivité ou frustration qui découlent pour beaucoup des codes monogames ?