Ecart salarial : les femmes gagnent toujours 21% en moins que les hommes

Par René Begon - mai 2014

La « Journée de l’égalité salariale » (Equal Pay Day) a eu lieu pour la dixième fois le 18 mars 2014. S’il diminue lentement, l’écart salarial entre les femmes et les hommes se maintient toujours à 21% du salaire brut mensuel. En cause principalement, mais pas uniquement : le travail à temps partiel non choisi qui touche 46% des femmes.

La question de l’écart salarial entre les femmes et les hommes ne s’est posée qu’assez récemment. D’une part parce que le salariat est une notion qui est apparue conjointement avec le capitalisme, grosso modo au début du XIXe siècle. D’autre part, auparavant, les femmes avaient évidemment toujours travaillé, mais surtout dans le cadre familial, que ce soit dans le monde rural ou en tant qu’ouvrières à domicile dans l’activité textile (fin du XVIIIe s.).

Au XIXe s., les femmes deviennent salariées dans l’industrie textile, puis en usine d’une façon plus générale. Dès la fin du XIXe, puis dans l’Entre-deux-guerres et, surtout après la Deuxième Guerre mondiale, elles feront leur entrée dans le secteur tertiaire (postes, télégraphe, téléphone, secrétariat, infirmières). Des années 60 à la fin du XXe s., l’emploi féminin assurera « l’essentiel de la croissance de l’emploi européen », passant de 30% à 43,3%[1].

Cependant, les femmes occupent systématiquement les postes les moins qualifiés et les moins bien rétribués. Peu de voix s’élèvent pour réclamer l’égalité salariale, excepté, dès la fin du XIXe, quelques féministes visionnaires comme Hubertine Auclert en France ou Emilie Claeys en Belgique[2].

1966 : la grève des femmes de la FN

« Sur le plan de l’affirmation des femmes dans le domaine du travail, la grève des femmes de la FN en 1966 est, de ce point de vue, tout à fait exemplaire. Introduite depuis les années 20, l’OST (organisation scientifique du travail) a inauguré une nouvelle manière de concevoir le travail industriel, notamment celui sur machines outils. C’est un travail parcellisé, chronométré pour lequel le patronat considère que les femmes conviennent bien, car elles sont à la fois rapides, précises et résistantes à la monotonie (raison pour laquelle on les appelle les ‘femmes machines’). Sans oublier le fait qu’elles sont moins bien payées que les hommes.

Le 16 février 1966, trois mille cinq cents travailleuses de la FN de Herstal entament une grève pour protester contre l’inégalité des salaires qui existe entre les travailleurs masculins et elles. Dans le secteur des fabrications métalliques, les femmes ne touchent que 75% du salaire d’un manœuvre masculin. Elles veulent que soit appliqué l’article 119 du Traité de Rome qui indique que ‘chaque état membre assure (…) l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail’. Le conflit s’étend à d’autres entreprises.

Pendant douze semaines, les grévistes persistent courageusement, proclamant leur slogan devenu célèbre : ‘A travail égal, salaire égal’, soutenues par des groupes extérieurs. Elles obtiendront une petite augmentation, mais pas l’égalité de salaire. Cependant, sur le fond, elles ont gagné, car, en 1975, un Arrêté royal établit l’égalité de rémunération entre hommes et femmes. Leur combat prend une valeur symbolique aussi bien en Belgique qu’à l’étranger »[3].

Le cadre réglementaire

Bien qu’universellement ignoré à l’époque, le principe de l’égalité salariale entre femmes et hommes n’était pas cependant inconnu : il figurait dès 1948 dans la « Déclaration universelle des droits de l’homme » de l’ONU et faisait l’objet, en 1951, de la Convention n° 100 de l’OIT (Organisation internationale du travail). Et, en 1957, le Traité de Rome, qui donna naissance à la Communauté économique européenne (CEE), avait vu clair en prévoyant, dans son article 119, que « Chaque état membre assure l’application du principe d’égalité de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ».

Il fallut cependant attendre encore neuf ans après cette grève exemplaire pour que le principe fasse son entrée dans le droit social belge par Arrêté Royal en 1975, puis par la loi du 7 mai 1999 instaurant l’« égalité de traitement entre hommes et femmes », c’est-à-dire l’absence de discrimination fondée sur le sexe en matière de conditions de travail, d’accès à l’emploi et aux possibilités de promotion, d’accès à une profession indépendante et aux régimes complémentaires de sécurité sociale.

En Belgique, l’arsenal légal visant à imposer l’égalité salariale est important. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent à tous les citoyens la jouissance des droits et libertés sans discrimination. Ce que confirme la loi de 1999 évoquée plus haut. La loi du 25 février 2003, transposant une directive européenne de novembre 2000, entend lutter contre toute discrimination directe ou indirecte en matière d’emploi. Le principe du gender mainstreaming, c’est-à-dire le fait d’intégrer l’égalité femmes-hommes dans toutes les politiques publiques, est appliqué depuis la loi du 13/02/2007. Enfin, l’Arrêté royal du 14 juillet 1987 impose aux entreprises la réalisation annuelle d’un rapport sur l’égalité entre les femmes et les hommes en son sein.

La Journée de l’égalité salariale

Néanmoins, même s’il diminue, l’écart salarial entre femmes et hommes est loin d’avoir disparu. Pour cette raison, la FGTB organise depuis 2005 une « Journée de l’égalité salariale » (Equal Pay Day, pour être compris des deux côtés de la frontière linguistique) dont la date était au départ fixée au 31 mars. Le choix de cette date n’était pas innocent : il s’agissait de mettre en évidence le fait que les femmes devaient travailler trois mois en plus que les hommes pour gagner la même chose, car à l’époque l’écart salarial était de 25%. En 2014, la dixième « Journée de l’égalité salariale » a eu lieu le 18 mars, du fait d’une diminution progressive de l’écart salarial femmes-hommes.

Une des conséquences de l’instauration de cette journée de sensibilisation a été qu’à partir de 2006, à la demande du ministre de l’Egalité des chances, l’Institut pour l’Egalité des hommes et des femmes réalise, en collaboration avec le SFP Emploi, un rapport annuel sur l’écart salarial. Depuis lors, il existe donc des estimations officielles de l’écart salarial entre femmes et hommes.

Le rapport se base sur deux variables : la moyenne des salaires bruts horaires et celle des salaires bruts mensuels. A la différence des chiffres concernant le salaire brut horaire, ceux concernant le salaire brut mensuel (ou annuel) incluent temps pleins et temps partiels. Cela explique, ainsi que le montre le tableau suivant, que l’écart en salaire horaire est plus faible que l’écart en salaire mensuel, car les femmes sont proportionnellement beaucoup plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel (46% contre 10% pour les hommes)[4].

Écart salarial sur base des salaires horaires et annuels bruts moyens (2006-2010)[5]

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Écart salarial en salaires horaires

12%

12%

11%

11%

10%

7%

Écart salarial en salaires annuels

25%

24%

23%

23%

23%

21%

Sources : Bureau fédéral du Plan et DGSIE, Enquête sur la Structure et la Répartition des Salaires

En 2011, l’écart salarial sur base horaire était de 7%. Par contre, il était toujours de 21% sur base du salaire brut mensuel. On constate également qu’en six ans, il n’a diminué que de 4%.

En somme, l’écart salarial diminue, mais son aspect discriminatoire reste important : « Cet écart salarial converti en en temps de travail équivaudrait à deux mois et demi de salaire, soit sur base du salaire mensuel moyen de 3250 €, un manque à gagner de 680 €. Ou sur base annuelle 8160 € bruts. Ca fait un beau pécule de vacances que les femmes n’ont pas ! », s’indigne avec raison le magazine Syndicats-FGTB[6].

La FGTB estime qu’au rythme où cet écart évolue, il faudra encore 40 ans aux femmes pour atteindre l’égalité salariale avec les hommes. Une bonne raison pour aborder le problème de matière plus énergique, de façon à permettre aux femmes d’avoir des carrière complètes, en combattant les contrats à temps partiels « contraints » (non choisis), en favorisant l’ouverture de structures d’accueil pour la petite enfance ou les personnes âgées à des tarifs abordables et en garantissant que les descriptions de fonctions soient neutres sur le plan du genre.


Pour citer cette analyse :

René Begon, "Ecart salarial : les femmes gagnent toujours 21% en moins que les hommes", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), mai 2014. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/225-ecart-salarial-les-femmes-gagnent-toujours-21-en-moins-que-les-hommes

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Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] Margaret Maruani, Travail et emploi des femmes, Paris, La Découverte, 2003, pages 5-6.

[2] René Begon, Travailler au féminin. Histoire, éducation, droits, émancipation, Liège, CVFE, coll. « Terrains d’Entente », 2006, pages 22 et 25.

[3] René Begon, Travailler au féminin. Histoire, éducation, droits, émancipation, op. cit. pages 40-41.

[4] Syndicats-FGTB, loc. cit.

[5] Ecart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique. Rapport 2013, Bruxelles, IEFH, 2013, page 7. Le rapport donne les chiffres de 2010. Les chiffres de 2011 sont issu d’un dossier du magazine Syndicats-FGTB, n°5, 14 mars 2014, pages 8-9.

[6] Syndicats-FGTB, loc. cit.