Encore féministes ! Pour quoi faire ?

Par Anne Delépine - décembre 2014

Le Collectif « Femmes battues », qui devint plus tard le CVFE, est né en 1978 dans l’élan de la deuxième vague féministe, venue d’Amérique du Nord et très sensible aux inégalités touchant les femmes dans la vie privée et dans la société, en particulier la violence conjugale. Trente-quatre ans plus tard, en quoi l’héritage féministe peut-il encore orienter l’action d’un Collectif fidèle à ses missions de départ, mais qui a connu une évolution considérable sur le plan professionnel ?

En 1981, mon premier contact avec le Collectif Femmes battues (de Liège) consista à répondre à une offre d’emploi[1]. Devant l’assemblée générale de l’époque, qui procédait au recrutement, j’ai eu à m’expliquer sur mon positionnement féministe. Ce critère était prépondérant, de façon explicite, pour le choix des collaboratrices.

Dans la vie courante, c’est-à-dire en dehors du Collectif, se réclamer du féminisme était inconfortable, et cela l’est toujours. C’est un positionnement qui suscite encore des réactions extrêmement variables selon les interlocuteurs et les sujets.

Consolider une association féministe ?

Instituer comme féministe un cadre professionnel qui relève du champ social peut susciter un dilemme, tant cela soulève de résistances encore aujourd’hui. En effet, il est important pour les équipes du CVFE de pouvoir collaborer de façon constructive avec un réseau diversifié, au bénéfice de personnes en situation précaire, victimes de violences conjugales. Pour cela, le souci de respectabilité est un but légitime de l’association. Or, il est courant de considérer que l’accompagnement social doit être neutre et que cette posture est incompatible avec le féminisme, plutôt jugé comme un engagement partisan, excluant les hommes.

Dans les années qui ont suivi sa naissance, la professionnalisation des métiers au Collectif a accordé plus d’importance lors des recrutements à des critères de formation ou d’expérience, l’adhésion aux valeurs progressistes et égalitaristes du CVFE ne se traduisant plus de façon aussi claire par l’affirmation d’un ancrage féministe.

La prise de distance vis-à-vis du mouvement féministe des années 70 peut aussi provenir de sa méconnaissance : on en retient certaines images, certains slogans provocateurs. Sorties de leur contexte ou caricaturées par des esprits conservateurs, « gynophobes » ou « masculinistes » ces stratégies de provocation visant à transformer un monde inégalitaire, à créer un effet de rupture pour faire changer les mentalités, ne sont plus comprises.

Entretemps, l’émancipation des femmes, la lutte contre les discriminations qu’elles subissent sont devenues des questions universelles, prises en considération par les instances nationales et internationales. Et depuis une dizaine d’années en Belgique, les violences envers les femmes ont été définies par les pouvoirs publics comme des violences de genre et des politiques ont été mises en œuvre pour les combattre.

Aujourd’hui, le CVFE fait partie des organisations spécialisées reconnues qui apportent des aides concrètes aux femmes victimes de violences conjugales et à leurs enfants.

Dans une organisation professionnalisée et qui continue à évoluer, est-il encore utile de mettre en évidence l’héritage du mouvement des femmes des années 70 ? En passant en revue quelques exemples de questionnements qui ont traversé l’association récemment, questionnements qui émergent de la confrontation avec les parcours des femmes accompagnées, avec les injustices qu’elles subissent, on ne peut manquer d’observer combien il peut être enrichissant d’alimenter les réflexions actuelles à partir des revendications développées alors.

Un ancrage féministe historique

Le Collectif Femmes battues (ancien nom du CVFE) n’est pas né de la côte d’Adam, mais de la volonté et de l’engagement des féministes liégeoises. Dans les années 70, le mouvement d’émancipation des femmes a généré des initiatives politiques et militantes, au niveau international et national, dont le Collectif fait partie.

En 1975, la première Année Internationale de la Femme, puis la Décennie de la Femme, ont été décrétées au niveau mondial par l’Organisation des Nations Unies et une conférence officielle a eu lieu à Mexico. L’ONU a voulu « rappeler à la communauté internationale que les discriminations envers les femmes existent partout dans le monde et initier un dialogue de portée internationale sur l’égalité entre les sexes », avec trois objectifs clé :

Des résultats minimums devaient être engrangés et permettre de garantir un accès égal aux femmes dans des domaines tels que l'éducation, les opportunités d'emploi, la participation à la vie politique, les services de santé, le logement, la nutrition et le planning familial[2].

Les mobilisations des femmes « ordinaires » ont eu beaucoup d’influence sur ces processus de reconnaissance internationale, comme le reconnaît la présentation officielle :

« Un aspect important de la réunion de Mexico réside dans le fait que les femmes jouèrent elles-mêmes un rôle directeur dans les discussions. Parmi les délégations des 133 Etats Membres rassemblées, 113 étaient menées par des femmes. Les femmes organisèrent également, en parallèle de la Conférence, un forum des organisations non gouvernementales, la tribune annuelle internationale des femmes, qui rassemblait environ 4000 participants. (…) Le Forum permit également aux Nations Unies de s'ouvrir aux ONG qui favorisèrent la prise en compte de l'opinion des femmes dans le processus de développement des politiques de l'Organisation »[3].

Des luttes de femmes pour l’égalité

En Belgique, les actions marquantes ont été multiples : rappelons qu’en 1966, les ouvrières de la FN, à Herstal, ont mené une grève pour obtenir des salaires égaux à ceux des ouvriers. A travail égal, leur salaire était inférieur parce qu’elles étaient femmes. Autre exemple, qui paraît surréaliste aujourd’hui : il a fallu la mobilisation du mouvement des femmes pour qu’en 1976, les femmes mariées obtiennent le droit d’ouvrir leur propre compte en banque sans l’autorisation de leur mari. Les femmes n’ont obtenu le droit de vote aux élections législatives qu’en 1948, 27 ans après que le suffrage universel masculin ait été inscrit dans la constitution[4].

La particularité des mouvements féministes des années 70 est d’avoir élargi le combat pour l’égalité des droits et amené sur la place publique des discriminations se rapportant au corps, à la fécondité, à la moralité. Les remises en cause de la société patriarcale en mai 68, les découvertes en matière de contraception, les recherches à propos de la sexualité féminine ont abattu des tabous qui étaient autant de carcans pour les femmes et les empêchaient de vivre comme des citoyennes à part entière[5].

La première « Journée des Femmes » s’est tenue le 11 novembre 1972 à Bruxelles, au Passage 44, en présence de Simone de Beauvoir et d’autres personnalités ; elle a remporté un succès formidable. Dix mille femmes y ont participé, pour s’informer et prendre part aux débats[6].

En novembre 1973 est paru le premier numéro des Cahiers du GRIF (groupe de recherche et d’information féministes), fondés par la philosophe et écrivaine belge Françoise Collin. Son but était de susciter une réflexion théorique sur des thèmes chers au nouveau féminisme. Cette revue, qui paraîtra jusqu’en 1982, proposait des dossiers sur les femmes et le genre : parenté, amour, sexualité, corps et travail.

En 1976 s’est tenu à Bruxelles un « Tribunal international des crimes commis contre les femmes », qui réunit 2000 femmes venues de 40 pays[7]. Il enclenchera la création des Collectifs femmes battues en Belgique, quand, après des actions plus spectaculaires, des groupes d’actions se sont mis en place pour travailler des problématiques précises, en dehors de tout cadre institué ou même dans l’illégalité : le viol, la violence conjugale, la contraception, l’avortement[8].

Prendre position contre les violences conjugales…

Dans plusieurs villes du pays, à la même époque, ces « Collectifs femmes battues » se créent, à l’instar du « Women’s Aid » fondé à Londres en 1971 par Erin Pizzey, qui avait publié un livre sur cette expérience Crie moins fort, les voisins vont t’entendre[9].

A Liège, en 1978, un groupe féministe dépose des statuts au Moniteur pour fonder une asbl. Les militantes ouvrent un premier refuge, et s’y consacrent bénévolement dans les premiers temps : l’organisation se veut non hiérarchique, ouverte à toutes les femmes. Elle est conçue comme un lieu où la parole des femmes, l’expression de leur vécu de violences, sont primordiaux et doivent s’exprimer sans gêne. La volonté de conscientiser les femmes à l’idée que les rapports inégalitaires entre les hommes et les femmes sont à la fois la source des violences et se perpétuent à travers la perpétration de ces violences domine le climat dans lequel s’organise l’action.

Les femmes battues qui font appel à ce service sont des femmes en fuite, démunies, souvent accompagnées d’enfants. Pour assurer un accompagnement minimal de ces personnes, rencontrer leurs besoins de base autant que leurs besoins d’émancipation, le recours à des emplois d’intervenantes sociales s’avère rapidement indispensable.

Les années d’expérience que le CVFE a accumulées dans le travail auprès des victimes de violences conjugales lui ont permis de construire une intervention spécialisée, s’enrichissant aussi d’apports externes, féministes ou non.

Au départ, la création de Refuges pour femmes battues n’a pas fait l’unanimité chez les féministes des années 70 : « Elle (Jeanne Vercheval[10]) ne soutient pas davantage la création de refuges pour femmes battues :

« Elle (Christiane Rigaumont[11]) a fait un travail extraordinaire. Mais je n’étais pas partante pour une maison des femmes battues. Je trouvais que notre combat était dans la rue» ; « Je trouvais que ce n’était pas notre boulot, qu’il fallait exiger des lois qui punissent plus fort. Il fallait exiger que les CPAS aient des lieux où ces femmes puissent se réfugier… Mais pour moi, ce n’était pas un travail de féministe. Le féminisme, c’est être dans la rue, aux portes des usines, dans l’activité politique et sociale »[12].

Dans les débuts, les ambivalences des femmes vis-à-vis de leur agresseur ont été difficiles à interpréter et à situer parmi les revendications d’émancipation.

« Encore une fois, je crois que traiter la question des violences sexuelles à partir de la catégorie du conjugal est restrictif et risque de déforcer notre position. Car, prises dans ce seul contexte, ces violences engagent la conscientisation des femmes, leur accès à l’autonomie financière et psychique. Elles sont bien plus difficiles à traquer et à combattre comme phénomène structurel qui contamine l’espace entier des relations entre les sexes et la libre circulation des femmes »[13]

« (…) aucune loi ne suffira jamais à libérer une femme battue – ou violée - si elle ne trouve pas en elle-même la force nécessaire à son autonomie, la capacité de dire non à l’autre parce qu’elle dit oui à elle-même, ou de le dénoncer publiquement »[14].

Le CVFE est persuadé que ce travail de base auprès des victimes de la violence conjugale, qui ne cesse jamais d’être interpelant, maintient un lien fort avec les combats féministes, car y apparaissent, dans les demandes individuelles adressées au Refuge, les inégalités persistantes dont souffrent les femmes : notamment les discriminations dans l’accès au logement qui les frappent, en raison de la précarité qui les touche plus particulièrement. Cette question de l’accès au logement est incontournable dans le travail mené au Refuge[15]. Ou encore, la double violence qui frappe les femmes hébergées venues d’ailleurs, obligées de rentrer au pays si elles quittent leur mari, phénomène qui se développe à cause des nouvelles migrations et des politiques de restriction[16]. La proportion de femmes hébergées vivant ces difficultés n’a cessé d’augmenter.

…et contre les exclusions socio-économiques

L’évolution actuelle du Collectif impose certaines réalités. Par le choix de ses missions, ses portes sont forcément ouvertes à la société des femmes touchées par la pauvreté et l’exclusion socio-économique, ce qui force les intervenantes à s’intéresser quotidiennement au « plancher collant »[17] qui empêche un grand nombre de femmes d’accéder à l’émancipation.

L’actualité politique met à la une des médias les mesures qui réduisent de plus en plus les systèmes publics de re/distribution financière, les allocations ou les revenus différés et qui allongent le temps de travail. Derrière un discours neutre en apparence[18], une majorité des personnes touchées par les restrictions sont des femmes.

Les difficultés d’intégration des femmes sur le marché de l’emploi proviennent encore aujourd’hui, en grande partie, du rôle qu’elles doivent assumer bien davantage que les hommes dans la sphère privée, ce qui leur prend du temps et de l’énergie, sans reconnaissance ni rémunération. Le travail domestique, l’éducation des enfants, les soins aux personnes dépendantes sont encore aujourd’hui en majorité assumés par les femmes et le bon fonctionnement de la sphère familiale repose sur leur bénévolat.

Grâce à cette attribution considérée comme « naturelle » par le plus grand nombre, le rapport de l’homme au travail est libéré de ces soucis privés, tandis que la conjointe est souvent amenée à réduire son temps de travail. Quant aux formes d’assouplissement du rapport au travail, comme en avait instauré la politique du crédit-temps en 2001[19], qui profite aux femmes comme aux hommes, elles tendent à disparaître.

Des reculs pour les droits des femmes au travail …

Comme le souligne le Lobby européen des Femmes[20], les politiques dites d’austérité, en réduisant et en supprimant les systèmes d’allocations, dressent à nouveau les antiques barrières à l’entrée des femmes sur le marché du travail. La dépendance financière vis-à-vis du conjoint, qui assure le revenu de la famille, a comme conséquence possible une dégringolade dans la pauvreté en cas de séparation ou si le mari perd son revenu. Or, la pauvreté constitue bel et bien un grave obstacle dans l’accès aux droits et à l’égalité.

Abandonner un travail précaire pour se consacrer à la réussite de la vie familiale et au bien-être de ses proches, est-ce vraiment un choix individuel ou plutôt la conséquence d’un manque de responsabilisation collective dans l’éducation des enfants et la prise en charge des personnes dépendantes?

Les restrictions dans les modes d’aménagement du temps renforcent le modèle « masculin » du rapport au travail, en réduisant les possibilités de concilier la vie professionnelle et la vie familiale. Sans étouffer le débat sur le partage des tâches domestiques, les mesures sociales liées au marché de l’emploi sont des supports au travail des femmes ; les supprimer aura pour conséquence de renvoyer une partie des femmes vers le foyer ; c’est aussi empêcher les femmes plus éloignées du marché du travail (primo-arrivantes, plus âgées, rentrantes[21], etc.) d’y accéder progressivement.

Bien qu’occupant des places différentes par rapport aux discriminations sur le marché de l’emploi, les unes disposant d’un emploi à sauvegarder, les autres vivant dans la précarité, les femmes aidées et les intervenantes du CVFE sont concernées par la question sociale du travail des femmes. Les inégalités visant les femmes constituent leur expérience commune et peuvent nourrir une alliance mobilisatrice.

La mixité pose-t-elle encore question ?

Le choix de la non-mixité a été remis en cause par l’association à un moment de son développement. La réflexion sur la mixité des équipes de travail a fait son chemin au CVFE. Au départ, les militantes, puis les professionnelles, étaient uniquement des femmes. Cette évolution vers la mixité, considérée avant tout sous l’angle de la professionnalisation des services proposés, a suscité des questionnements, puis des décisions. Dès lors la balance a penché vers les avantages de la mixité au niveau professionnel, ainsi que dans les services rendus aux différents publics du CVFE[22].

Comment s’est affirmée la non-mixité dans les groupes féministes des années 70 ? Selon la philosophe Françoise Collin,

« Cet espace de dialogue que les femmes ont constitué dans le mouvement féministe, espace dont elles sont les agents, m’apparaît comme un acquis de base fondamental de ce mouvement et comme une rupture historique majeure. Avant, tout dialogue passait par la médiation du masculin, s’effectuant sous son contrôle et requérant sa garantie. La sécession des femmes, la constitution d’un espace d’échange entre les femmes, se donnant mutuellement autorité, prenant au sérieux la parole de l’autre dans la ratification ou la contestation, leur a permis de s’affirmer non plus comme les relais d’un discours préalable, mais comme agents constitutifs de leur discours. Elle a paradoxalement substitué à la fausse mixité du monde existant – qui était en fait un monde ‘homosexué’ ou homosocial, c’est-à-dire fondé sur le rapport des hommes entre eux – les chances d’une véritable mixité à venir (…) Ainsi la sécession apparente du féminisme est-elle le passage obligé conduisant d’une fausse mixité sociale à la réalisation d’une mixité effective, où hommes et femmes seraient titulaires du monde commun. Il ne s’agit pas d’exclure les hommes, mais de commencer par rompre avec l’état social où les femmes n’arrivaient pas à s’affirmer, à être ‘initiative’ autrement que sous caution – sous la condition du savoir et de l’autorité masculine – et ceci indépendamment même de la (bonne ou mauvaise) volonté des hommes en tant qu’individus »[23].

Presque tous les services offerts par le Collectif s’adressent aux femmes : dans les espaces de vie, de formation, d’éducation permanente, la parole entre femmes est favorisée pour renforcer leur empowerment[24], leur permettre de se définir par elles-mêmes et non plus à travers le regard masculin et les rôles socialement attendus des femmes. Cette étape est considérée comme essentielle par le CVFE. Y aurait-il une valeur ajoutée à poursuivre les objectifs d’égalité et d’émancipation en organisant plus d’activités accessibles à un public mixte ? La question est régulièrement posée au sein des équipes. L’essentiel, à mon sens, est que cette question reste active, qu’elle ne soit pas enterrée par un principe, que ce soit le choix de la mixité ou de la non-mixité.

La militance de l’organisation questionne différemment la mixité. Ce sont les femmes de la base qui sont les plus concernées quand il s’agit de poursuivre un idéal d’émancipation pour toutes les femmes ou résister aux agressions portées à leurs acquis. Il y a encore là des enjeux à porter par les groupes de femmes, fût-ce en s’alliant à des hommes pour mener ces combats et même si un féminisme institutionnalisé a pris le relais pour faire avancer l’égalité : « Il est aujourd’hui entériné et admis, au moins en principe, que l’égalité des sexes fait partie intégrante du principe démocratique et de ses objectifs. Ce qui n’est pas une mince affaire quand on se souvient du scandale que provoquait sa seule formulation il y a trente ans »[25]. Les enjeux de l’égalité entre hommes et femmes sont encore bien vifs, demandent de la vigilance et des initiatives de la part des femmes, en dehors ou au sein des institutions.

Le mouvement féministe de la deuxième vague s’est construit de façon anti ou para-institutionnelle[26] et a lancé de nombreuses actions plus ou moins sporadiques. C’est dans ce contexte qu’a été créé le Collectif. Sa transformation en une initiative durable est passée par des formes d’institutionnalisation, tant sur le plan des relations de travail qu’au niveau des services offerts.

Relier le Collectif d’aujourd’hui à ses origines, c’est une façon de garder ouverte à l’esprit cette réflexion de Françoise Collin :

« Comment transformer le monde si on ne l’investit pas de l’intérieur, selon les critères dominants ? Mais aussi : comment le transformer une fois qu’on en a adopté et intériorisé les critères ? Comment l’investir sans en devenir prisonnière et réussir à y introduire une dimension subversive ? »[27].

En parallèle à son travail aux côtés de personnes vulnérables, dans une interaction permanente entre l’action et la réflexion, le Collectif ne peut se dispenser de façonner et de partager un projet de société pour les femmes et les filles, le projet d’une société où elles sont des individus autonomes et des citoyennes avant toute autre définition. C’est ainsi qu’il (re)donne du sens à ses missions socio-éducatives.

Garder une position critique par rapport au modèle et aux valeurs masculines, sources d’inégalités et de discriminations, est nécessaire, tout en réfléchissant à un « monde commun autre », comme le propose Françoise Collin : « Et s’impose à nous, en filigrane, une question fondamentale : quel monde commun voulons-nous ? Le féminisme est-il le ‘devenir-homme’ des femmes ou le ‘devenir-autre’ des hommes et des femmes ?»[28].


Pour citer cette analyse :

Anne Delepine, "Encore féministes ! Pour quoi faire ?", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2014. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/228-encore-feministes-pour-quoi-faire

Contact :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] On lira plus loin l’historique du Collectif, devenu par la suite le CVFE (Collectif contre les Violences familiales et l’Exclusion).

[2] « Les quatre conférences mondiales sur les femmes 1975-1995, Perspective historique », Département de l’information de l’ONU, avril 2000, in www.un.org/french/womenwatch/followup/beijing5/session/fond.html

[3] Ibidem.

[4] Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_du_statut_de_la_femme_en_Belgique; en 1919, le droit de vote a été accordé aux veuves de guerre et aux mères de soldats morts pendant le conflit.

[5] Cf. http://rqasf.qc.ca/sante-mentale/principes-fondateurs-du-mouvement-pour-la-sante-des-femmes

[6] Cf. www.rosadoc.be/site/rosa/francais/reperes/chronologie.htm

[7] Lydia Horton, “Introduction”, in Les Cahiers du GRIF, 1976, n°14-15, Violence, pp 83-86, sur http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1976_num_14_1_1135

[8] Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxième_vague_du_féminisme_en_Belgique

[9] Erin Pizzei, Crie moins fort, les voisins vont t’entendre, Edition des Femmes, Paris, 1975.

[10] Militante féministe, née en 1939, notamment connue comme fondatrice des Marie Mineur.

[11] Fondatrice de la Maison des Femmes et du Refuge pour femmes battues à La Louvière.

[12] Marissal (Claudine), Gubin (Eliane), Jeanne Vercheval, un engagement social et féministe, Bruxelles, Institut pour l’égalité des hommes et des femmes (IEHF), 2011, p. 98.

[13] Collin (Françoise), Kaufer (Irène), Parcours féministe, Paris, Editions iXe, 2014, p. 56.

[14] F.Collin, I.Kaufer, op.cit., pp. 43-44.

[15] Cf. Ouvrage collectif, Accès au logement, capabilités et empowerment des femmes victimes de violence conjugale : la démarche de l’équipe « pré-post-hébergement » du CVFE, Liège, coll. « Terrains d’Ententes », 2013 (téléchargeable sur http://www.cvfe.be/publications/etudes).

[16] Cf. Sophie Köhler, Victimes de violences conjugales en situation précaire sur le territoire : une double violence, Liège, coll. « Terrains d’Ententes », 2009 (téléchargeable sur http://www.cvfe.be/publications/etudes).

[17] L’expression est employée par Irène Kaufer. Elle s’oppose à l’expression « plafond de verre », utilisée dans les revendications d’égalité entre les hommes et les femmes sur le plan professionnel, pour évoquer cette barrière invisible qui empêche les femmes d’accéder aux positions de pouvoir. In Parcours féministe, op.cit., p. 101.

[18] Par exemple, les catégories « hommes » et « femmes » ont disparu par l’application du principe d’égalité à la législation du chômage en 1971.

[19] Tony Demonte (CNE) : « Le crédit-temps est un des derniers grands projets portés par les milieux progressistes », in « Rush sur le crédit-temps, ancienne formule. La fin d’une utopie ? », La libre Belgique, mercredi 3 décembre 2014, p. 4.

[20] Le prix de l’austérité – Son impact sur les droits des femmes et l’égalité femmes-hommes en Europe, résumé en français de l’étude du Lobby européen des femmes, The price of austerity – the impact of women’s rights and gender equality in Europe, octobre 2012.

[21] L’expression « femmes rentrantes » désigne les femmes qui désirent réintégrer le marché du travail après l’avoir quitté pour s’occuper de leurs enfants.

[22] Hensgens (Pascale), Begon (René), La mixité professionnelle au CVFE (Dossier), Liège, coll. « Terrains d’Ententes », 2011 (téléchargeable sur http://www.cvfe.be/publications/analyses).

[23] Collin (Françoise), Kaufer (Irène), op.cit., p. 36.

[24] Le mot anglais « empowerment » peut être traduit en français par « capacitation » ou « puissance d’agir ».

[25] F.Collin, I.Kaufer, op.cit., p. 194.

[26] Ibidem, p. 29.

[27] Ibidem, p. 24.

[28] Ibidem, p. 30.