Harcèlement sexuel dans l’espace public : et si la rue était enfin à nous ?

Par Florence Ronveaux - septembre 2012

L’été 2012 restera comme le moment où l’opinion publique a découvert que le harcèlement sexiste ou sexuel en rue était, pour la plupart des femmes, une triste mais courante banalité. C’est le documentaire Femmes de la rue, tourné à Bruxelles par une jeune flamande, qui a créé le choc, aussitôt répercuté sur le Web, à la télévision, dans la presse et quasiment dans tous les pays voisins. L’article qu’on va lire ne se propose pas d’analyser la démarche du film, mais de réfléchir d’un point de vue féministe à la question qu’il pose et d’évoquer quelques pistes de réaction possible pour les femmes qui sont confrontées aux injures sexistes dans la vie quotidienne.

 

Dans le courant de l’été 2012, le documentaire Femmes de la rue, de Sofie Peeters, une élève en dernière année de cinéma, met le feu au net. Tout le monde, ou presque, fait mine de découvrir que circuler dans une ville comme Bruxelles n’est pas toujours agréable pour les femmes…

Le communautarisme s’est invité dans le débat : Le reportage a été tourné en caméra cachée dans un quartier où les personnes d’origine maghrébines sont majoritaires, tout comme la grande majorité des hommes manifestant les comportements déplacés dans le film. Comme souvent, l’essentiel de l’énergie a été consacrée à comprendre la psyché ou à excuser les faits par les conditions socio-économiques et culturelles des auteurs…

Nous laisserons donc volontairement cet aspect polémique de côté. Cette analyse, basée sur l’actualité d’un phénomène intemporel et transculturel, vise plutôt à proposer des pistes de réactions concrètes à toutes les filles et femmes pour gérer ce genre de situations au quotidien, quels qu’en soient les auteurs.

Femmes de la rue !

Les mots « Femme » et « rue » n’ont jamais fait très bon ménage. Quand j’étais petite, « fille des rues » signifiait déjà « dépravée »… Une manière de nous apprendre que l’espace public n’appartient pas aux honnêtes femmes, ou alors à leurs risques et périls...

Puis les langues se sont déliées et les témoignages ont fusé : œillades insistantes, grimaces, gestes vulgaires, voitures qui ralentissent, questions « directes » (« Tu baises ? ») ou plus «  subtiles » (« J’adore tes dents, j’en ferais bien un collier pour ma bite ») sont monnaie courante. Ainsi que, de plus en plus souvent, des insultes, qui ne permettent même pas aux plus naïves de confondre ces comportement avec de la drague très très maladroite…[1]

Ce documentaire, malgré la bonne foi de la jeune réalisatrice, présente en effet au moins deux « faiblesses », qui ont déchainé les critiques : Sofie ne fait part que de son expérience personnelle, qui, de plus, est limitée à un seul quartier (Anneessens) à forte concentration étrangère, comme on appelle pudiquement les ghettos, choisis ou imposés.

Le film de Sofie Peeters, qui reflète hélas une certaine réalité, serait donc stigmatisant et partial. En un mot raciste…[2]. Il a été diffusé sur Ginger la page Facebook de l’autodéfense au CVFE où il a donné lieu à bien des débats sur l’origine de ces violences, leurs conséquences sur la vie des filles, mais surtout à des échanges de trucs et ficelles, car, finalement, quel que soit l’âge, le statut social ou la couleur de la personne qui s’en prend à vous, l’autodéfense verbale cela fonctionne !

Des blogueuses comme Virginie Godet de Modèle non conforme y sont allées de leur billet d’humeur : «J'ai le droit de dire que ça me déplaît, que je suis dérangée, importunée, pas intéressée. Je n'ai pas à chercher d'excuses à un type qui se comporte avec moi d'une façon que je trouve déplacée. Il a transgressé mes limites, point barre. Que sa culture ou son éducation soit différentes de la mienne, ce n'est pas mon problème. Il m'est déjà d'ailleurs arrivé de remettre à leur place des hommes qui se comportaient envers moi de façon cavalière, ou désagréable, et se trouvaient vachement plus au-dessus que moi dans l'échelle sociale, se croyant tout permis de ce simple fait. Mais force est de dire que cette habitude est nouvelle. Combien d'années j'ai rasé les murs, combien d'années je me suis effacée, j'ai tenté de disparaître, pour qu'on me foute la paix! Avec quels résultats? Que dalle »[3].

Il y a aussi l’association Garance qui remettra le 25 septembre 2012 une brochure de recommandations aux politiques impliqués dans les décisions urbanistiques et qui pointe le principal reproche à faire ce film : le message implicite qu'il fait passer aux jeunes femmes. C’est-à-dire : « Elles n'ont qu'un choix : adapter leur façon de vivre ou partir ! ». Comme l’a fait la réalisatrice.

Les associations de femmes entendent au contraire multiplier les autres pistes qui s'offrent aux personnes qui vivent ces situations au quotidien : « cours de self défense verbale et physique, reprise collective de la rue... Loin à la fois de la résignation, mais aussi de la simple répression prônée par les politiques… »[4].

La réponse politique et juridique

En tout cas, le film aura à son actif d’avoir mis en lumière le vide juridique qui existe en Belgique sur la question du harcèlement sexuel. En effet, si la loi « Moureaux » protège les personnes des insultes et attitudes racistes, rien de spécifique n’existe pour leurs pendants sexistes. Pourtant ces comportements seraient en augmentation, selon l’Institut pour l’Egalité des femmes et des hommes[5]. Un vide que les politiques se sont empressés de remplir avec des effets d’annonce – n’oublions pas que nous sommes à quelques semaines des élections communales - et un arsenal répressif, propre à calmer les colères populaires.

Examinons ces mesures. Sont-elles applicables ?

La France, qui venait d’abroger la loi contre le harcèlement sexuel à la fin du mandat de Nicolas Sarkosy, vient, à la faveur d’un changement de majorité présidentielle, de se doter d’un nouvel outil, censé être à la fois plus large et plus précis et donc plus facilement applicable. Cette nouvelle loi définit le hacèlement sexuel comme « Le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos, ou agissements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Le texte assimile également au harcèlement « Le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers »[6].

Pour symboliques que ces mesures soient, elles constituent un message important. La loi fixe la norme, la limite. Ces mesures sont-elles suffisantes alors ? Certainement pas. Tout comme le racisme, la lutte contre le sexisme prend du temps et des efforts et passe par l’éducation parentale, les programmes scolaires, la vigilance des médias et vis-à-vis d’eux, etc. D’ici là, prenons les choses en mains !

Les stratégies concrètes : comment réagir ?

Il est important de comprendre que ces comportements insultants ne sont pas tant le fait d’une frustration sexuelle, mais bien caractéristiques des agressions de pouvoir, basées ici sur une conception des rôles femmes et des hommes comme inégaux, avec des attentes très différentes en terme de « pudeur » ou de « respectabilité ». Ils sont peut-être aussi le signe d’un enjeu de territoire : « C’est mon quartier, c’est ma loi… ».

Face à quelqu’un de grossier ou de menaçant, il faut perdre nos mauvaises habitudes de gentilles filles, comme l’explique notre «  modèle non conforme » : « Il faut désapprendre tout ce que, toute petite, on a appris. A être polie, gentille, empathique et souriante. A être une fragile créature qui papillonne des cils, fait ses yeux de Bambi pour qu'on ne lui fasse pas de mal (…) Il faut ré-apprivoiser ce corps qu'on ne sait plus écouter. Apprendre à décoder ses signaux, à comprendre quand il entre en phase d'alerte. Apprendre, aussi, à maîtriser sa peur, à en faire une force, à la muer en colère froide. Apprendre à se déplier, se tenir droite, bluffer, regarder droit dans les yeux, ne pas sourire, ne pas se montrer faible ou fragile et répondre correctement »[7].

  1. Dire quelque chose… mais quoi ?
  1. En scène, Cyranettes !
  1. La rue est à nous :
  1. Associations ressources :

On peut obtenir des infos et des conseils en s’adressant aux associations suivantes ou en consultant leur site Internet :


Pour citer cette analyse :

Florence Ronveaux, "Harcèlement sexuel dans l’espace public : et si la rue était enfin à nous ?", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), septembre 2012. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/254-harcelement-sexuel-dans-l-espace-public-et-si-la-rue-etait-enfin-a-nous

Contact :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1]http://www.rue89.com/rue69/2012/07/28/salope-pute-petasse-le-quotidien-dune-jeune-femme-dans-les-rues-de-bruxelles-234215

[2]http://www.slateafrique.com/92029/bruxelles-belgique-femmes-de-rues-un-film-raciste-maghrebins

[3] Le blog de Virginie Godet : http://modelenonconforme.over-blog.com/article-harcelement-de-rue-faudrait-qu-on-s-excuse-en-plus-108923227.html

[4]http://www.irenekaufer.be/index.php?option=com_content&view=article&id=51:femme-de-la-rue-rue-dans-les-bracards-&catid=1:articles-blog&Itemid=4

[5] http://www.mrax.be/spip.php?article189

[6] http://tempsreel.nouvelobs.com/topnews/20120725.REU1868/les-deputes-unanimes-sur-le-texte-anti-harcelement-sexuel.html

[7] Le blog de Virginie Godet, déjà cité.

[8] http://www.france24.com/fr/20120719-sexisme-sifflets-huees-assemblee-cecile-duflot-robe-emoi-deputes-opposition-ministre-logement