La violence des opprimé·es

Par sandre roubin - octobre 2020

La violence des opprimé·es, c’est la violence des « casseurs·euses », des « féminazis » ou noir·es qui sont mu·es par une « rage incontrôlée ». Dans cette analyse, nous rendons justice à la violence des contestataires, stigmatisée et exagérée, en la réintégrant dans un cadre d’analyse qui la politise et qui met en évidence la violence à laquelle elle n’est que réaction, c’est-à-dire la violence sociale et institutionnelle.

 

Pour télécharger notre analyse

« [T]ant que nous nous faisons complices ou nous nous taisons face aux violences des dominants, nous serons toujours exposés aux violences populaires et aux émeutes des opprimés. »1

Sujet épineux qu’est celui de la violence. Qu’est-ce que la violence ? Comment la distingue-t-on du conflit, de l’agressivité, de la lutte, de la force, de la contrainte ? De la légitime défense ? Comment se matérialise-t-elle ? N’est-elle que physique ? Ou peut-elle agir de manière psychologique, symbolique, etc. ? Quelles sont les diverses formes qu’elle peut revêtir ? Toutes les violences se valent-elles ? La violence est-elle toujours condamnable ? Peut-elle être considérée comme légitime selon les contextes ? Peut-on toujours aisément l’identifier ? Ou peut-elle être diffuse, insidieuse, voire invisible ?

De la violence des opprimé·es et de la violence institutionnelle

Nul besoin de spécifier que le concept de violence est hautement politique et que ce que l’on nomme violence et ce que l’on refuse de définir comme telle constitue clairement un enjeu de taille.

Les idéologies dominantes, - le racisme, le sexisme, etc.2 - qui impactent nos représentations, consistent en une des grandes variables qui nous enjoignent de nommer ce qui est violent et ce qui ne l’est pas.

Dans nos sociétés gangrenées par les systèmes d’oppression, sont jugés violents les actes qui menacent, même un tant soit peu, ces systèmes en place ; tandis que les actes portant atteinte à nos dignités et qui s’inscrivent dans ces normes oppressives, sont banalisés et dissociés de toute analyse idéologique.

Ce qu’on nomme « violence des opprimé·es », ne devrait-elle pas être considérée la plupart du temps comme des réactions et contestations face à la violence sociale et institutionnelle ?

« L’oppression qui viole les droits fondamentaux de l’être humain en portant atteinte à sa dignité et à sa liberté ne peut que provoquer la révolte des opprimés et de tous ceux qui entendent s’affirmer solidaires de leur cause. »3

Dom Helder Camara, dans sa typologie des violences, identifie la violence des opprimé·es comme une violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première violence, mère de toutes les autres, la violence institutionnelle, « celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés »4. « La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. »5

La violence première, c’est la violence sociale. C’est notamment :

« celle qui se traduit par la pauvreté des uns et la richesse des autres. Qui permet la distribution des dividendes en même temps que le licenciement de ceux qui les ont produits. Qui autorise des rémunérations pharaoniques en millions d’euros et des revalorisations du Smic qui se comptent en centimes.

Mobilisés à tous les instants et sur tous les fronts, les plus riches agissent en tenue de camouflage, costume-cravate et bonnes manières sur le devant de la scène, exploitation sans vergogne des plus modestes comme règle d’or dans les coulisses. Cette violence sociale, relayée par une violence dans les esprits, tient les plus humbles en respect : le respect de la puissance, du savoir, de l’élégance, de la culture, des relations entre gens du « beau » et du « grand » monde.

L’accaparement d’une grande partie des richesses produites par le travail, dans l’économie réelle, est organisé dans les circuits mafieux de la finance gangrenée. Les riches sont les commanditaires et les bénéficiaires de cette violence aux apparences savantes et impénétrables, qui confisque les fruits du travail. [...] La crise est celle de vies brisées, amputées de tout projet d’avenir, dans cette immense casse sociale à laquelle les dirigeants politiques de la droite et de la gauche libérale se sont associés. »6

La violence des opprimé·es, ça peut être une chemise arrachée, montée en épingle, face à une annonce de licenciements massifs, à un changement de vie violent pour les salarié·es qui perdent leur travail et qui vont voir leur vie chamboulée. Personnes abîmées. Déchirements. Divorces. Suicides. Etc.7

(...)

Pour lire la suite de cette analyse


Pour citer cette analyse :

Sandra Roubin, "La violence des opprimé·es", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), octobre 2020. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/331-la-violence-des-opprime-es

Contact :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

1 Eugène Woodkend, « Ici on diabolise la violence des opprimés, on s’associe à la violence des oppresseurs », Le National, 19 février 2019. Disponible sur : <http://www.lenational.org/post_free.php?elif=1_CONTENUE/tribunes&rebmun=927> (Consulté le 24/09/2020)

2 Il existe nombre de systèmes de domination. En dehors des deux susnommés, le capitalisme, le système de domination adultes-enfants, le validisme,…

Le validisme est une « discrimination basée sur le handicap. C’est un système d’oppression qui considère que les personnes valides sont supérieures aux personnes handicapées. Le handicap est alors perçu comme quelque chose “d’anormal” et de honteux. L’idéal à atteindre est la validité. » Source : Femmes de droit, « Validisme ». Disponible sur : <http://femmesdedroit.be/ressources/abecedaire-feministe-belgique/validisme/> (Consulté le 6/10/2020)

3 Jean-Marie Muller, « Prôner la non-violence aux oppresseurs plutôt qu’aux opprimés ? », 28 septembre 2009. Disponible sur : <https://nonviolence.fr/Proner-la-non-violence-aux-oppresseurs-plutot-qu-aux-opprimes> (Consulté le 14/08/2020)

4 La Jasse, « Les trois violences », Mediapart, 22 mai 2016. Disponible sur : <https://blogs.mediapart.fr/lajasse/blog/220516/les-trois-violences> (Consulté le 25/09/2020), mis en italique par nous.

5 Ibid., mis en italique par nous.

6 Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, La violence des riches, Paris, Zones, 2013. Disponible sur : <https://www.editions-zones.fr/lyber?la-violence-des-riches> (Consulté le 1/10/2020)

7 Youtube, « Philosophie La violence peut-elle être légitime ? », 31 août 2019. Disponible sur : <https://www.youtube.com/watch?v=aDzZt2Aj7wU> (Consulté le 19/09/2020) Émission de la chaîne ARTE de Raphaël Enthoven, avec les chercheur·euses Manuel Cervera-Marzal et Vanessa Codaccioni.