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« Femmes contre le féminisme » ou l’antiféminisme ordinaire

On peut être femme et se déclarer antiféministe. C’est même le cas d’un mouvement qui s’exprime depuis deux ans avec un certain succès sur Facebook sous le nom de « Women against feminism » (« Femmes contre le féminisme »). On connaissait le féminisme conservateur et le masculinisme, mais comment interpréter ce nouvel antiféminisme, qu’on peut qualifier d’« ordinaire » et qui est souvent le fait de femmes jeunes et cultivées ? C’est la question sur laquelle se penche l’analyse qu’on va lire.

 

En janvier 2016, ce sera le deuxième anniversaire de la page « Women against feminism » (« Femmes contre le féminisme ») sur le réseau social Facebook, une page suivie par près de 35 805 internautes[1]. Sur le réseau de microblogage Tumblr, ce sont des milliers de femmes, jeunes pour la plupart, qui ont partagé depuis 2013 des photos d’elles accompagnées de textes expliquant pourquoi elles n’ont pas, ou plus, besoin du féminisme. Ayant suscité de nombreuses réactions, autant positives que négatives, ce mouvement antiféministe ne semble pas se tarir.

Comment expliquer un tel phénomène ? L’antiféminisme est-il plus présent qu’avant ou bénéficie-t-il de davantage de visibilité grâce aux nouveaux outils de communication ? C’est la question à laquelle le Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion tente de répondre par le biais de cette analyse. Celle-ci s’appuie sur des lectures féministes, mais également sur des observations de terrain dont, notamment, notre participation le samedi 14 novembre 2015 à la journée « Féministe toi-même ! » organisée par Point Culture Liège.

Lors de cette journée, notre équipe d’animation a proposé un atelier d’autodéfense féministe, mais également une rencontre avec un(e) féministe afin de démystifier les féminismes, de (re)penser nos représentations de celles et ceux qui en portent les valeurs et les opinions, ou qui, au contraire, les contestent, mais aussi débattre des droits des femmes, ceux acquis et ceux à acquérir.

Fminisme ordinaire 1

Fminisme ordinaire 2

Les antiféminismes

Le mot « antiféminisme » est un néologisme utilisé pour qualifier les différentes attaques ou oppositions aux thèses ou au-x mouvement-s féministe-s. Tout comme les féminismes, l’antiféminisme prend différentes formes selon les lieux, les époques, le contexte. Au même titre que le féminisme, il est donc pluriel. Et l’on ne sera pas surpris-e d’apprendre que, de tout temps, ces deux mouvements ont « évolué » de pair, entrant particulièrement en collision lors de moments charnières, comme le rappelle l’historienne et militante féministe Michèle Perrot en préface de l’ouvrage Un siècle d’antiféminisme (1999) :

« Les deux termes de ce couple conflictuel se répondent dans une chronologie liée à leur dynamique interne et aux événements de la Cité. Les avancées des femmes en constituent néanmoins le principal moteur. Aux moments forts d’un féminisme conquérant répondent des bouffées d’antiféminisme crispé[2] ».

Les arguments nourrissant l’opposition « au féminisme » peuvent être de nature politique, religieuse, sociologique et/ou culturelle. Comme tout mouvement d’opposition, l’antiféminisme est une réaction qui peut prendre des formes diverses, de la simple déclaration verbale à un recours à la violence physique.

Pour Mélissa Blais, doctorante en sociologie et chargée de cours à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’UQAM (Université du Québec à Montréal), il est possible de distinguer à l’heure actuelle trois grandes formes d’antiféminisme :

  • l’« antiféminisme ordinaire » ;
  • l’« antiféminisme religieux et conservateur » ;
  • le « masculinisme ».

Sans négliger l’intérêt qu’il y aurait à se pencher sur les deux derniers et leurs conséquences au quotidien, nous avons choisi de nous intéresser ici à la forme la plus subtile de « l’antiféminisme ordinaire » qui, depuis plusieurs années déjà, trouve de plus en plus d’espace d’expression et de diffusion sur les réseaux sociaux et dans les médias, recevant un écho favorable y compris chez un public jeune et féminin.

L’antiféminisme ordinaire et le mouvement « Women against Feminism »

Francine Descarries, sociologue et professeure à l’UQAM, définit « l’antiféminisme ordinaire » de la manière suivante :

« Je désigne par ‘antiféminisme ordinaire’ les discours et les pratiques qui, sans nécessairement recourir à des interprétations fallacieuses, extrémistes ou moralisantes, s’opposent, implicitement ou explicitement, aux projets portés par le féminisme et font obstacle aux avancées des femmes dans les différents domaines de la vie sociale (…)[3]».

Cette opposition peut prendre des formes très diverses. Francine Descarries distingue néanmoins trois grands procédés généraux visant à disqualifier les mouvements et thèses féministes : la distorsion ou la désinformation, les simplifications abusives et/ou la victimisation.

Distorsion

Dans le premier cas, les propos tenus vont généralement associer la militance féministe à une revanche personnelle menée par les femmes qui se revendiquent comme féministes et/ou à un combat créant une situation d’injustice vis-à-vis des hommes :

Fminsime ordinaire 3

Simplifications abusives

Dans le second cas, l’antiféminisme s’appuie sur une « lecture réductrice et abusive des phénomènes ». L’égalité entre les femmes et les hommes y est alors conçue comme une affaire privée. Pour contrer l’inégalité, il revient uniquement à chaque femme, à chaque couple, de prendre ses responsabilités. Cette idée trouve d’autant plus d’échos que de nombreux combats ont permis de réduire des inégalités criantes entre femmes et hommes, donnant la sensation à de nombreuses personnes, notamment en comparaison de ce qui se passe dans d’autres pays, qu’il n’y a plus de combats à mener collectivement.

Cet antiféminisme ordinaire est par ailleurs nourri des nombreuses images caricaturales encore largement diffusées sur les féministes, des « ennemies (poilues) des hommes », des « mères castratrices », des personnes n’ayant pas résolu des traumas personnels ou voulant nier les différences entre les individus.

Fminisme ordinaire 4

Victimisation

Dans le dernier cas les hommes sont rendus « victimes » de leur position dominante, ils sont privés de leur identité première par les féministes.

Fminisme ordinaire 5

Fminisme oridinaire 6

Le mouvement « Women against Feminism » (dont les photos illustrent cet article) constitue l’une des formes que peut prendre l’antiféminisme ordinaire aujourd’hui en Occident. Cette campagne lancée par des étudiant-e-s de l’Université de Duke (Etats-Unis) en 2012 sur les réseaux sociaux serait « née » en réaction à la campagne « Who Needs Feminism » (« Qui a besoin du féminisme ? »).

Si des procédés communs ont été épinglés dans la démarche des internautes ayant participé à cette campagne antiféministe (la majorité d’entre eux venant d’Europe et d’Amérique du Nord), qu’en est-il de leurs arguments et que peuvent-ils nous apprendre du contexte actuel ?

Comme le précisait en effet Virginia Woolf dans Une chambre à soi (1929) : «L’histoire de l’opposition des hommes à l’émancipation des femmes est plus intéressante que l’histoire de l’émancipation des femmes elle-même.» Une citation qu’il convient, plus que jamais, d’étendre à l’ensemble des mouvements d’opposition au féminisme. S’il y a en effet « toujours eu des désaccords et des débats concernant le féminisme », comme le rappelle la professeure Anette Borchorst, ce sont ces débats qui ont permis au mouvement féministe d’avancer en conséquence.

Que nous disent les femmes de « Women against Feminism » ?

En réaction au mouvement « Women against Feminism », plusieurs campagnes, souvent parodiques, ont été lancées sur le net. S’il est en effet difficile de rester stoïque face à cette succession de messages et de photos parfois particulièrement virulents, ces réactions ont néanmoins été condamnées par plusieurs analystes ayant tenté de déceler, derrière la multiplicité des photos postées, une série d’arguments communs chez ces jeunes femmes qui ne se sentent pas, ou plus, représentées ou concernées par le féminisme.

Les analystes se rejoignent ainsi pour distinguer schématiquement trois grandes catégories d’arguments tenus par ces représentantes d’une forme d’antiféminisme actuel[4] :

  • Les arguments sexistes « habituels », imbibés de morale ou de conservatisme, parfois agrémentés d’une sauce « genre » (« Les femmes sont plus faibles physiquement et émotionnellement, c’est pourquoi elles ont besoin des hommes ») ;
  • Les arguments de femmes « libérées » qui semblent avoir oublié les combats passés et/ou qui considèrent qu’il n’y a plus de combats à mener ici et maintenant collectivement, tout ayant été acquis (« Je n’ai pas besoin du féminisme car j’ai déjà les mêmes droits que les hommes ») ;
  • Les arguments des femmes exaspérées par le comportement de certain-e-s « doctes féministes » qui rejettent les choix de vie, attitudes, des autres femmes, féministes perçues comme représentatives de l’ensemble du mouvement féministe moderne.

D’après une analyse réalisée en 2014, seuls 23% des messages postés sur « Women against Feminism » entrent dans la première catégorie d’arguments. Comme le constate en effet la journaliste Cathy Young dans le Time[5], la plupart des femmes ayant contribué à la campagne « Women against Feminism » ne rejettent pas les combats passés remportés par le mouvement féministe pour les droits des femmes et ne nient pas non plus le fait qu’encore aujourd’hui, de nombreuses femmes souffrent d’une ou plusieurs forme-s d’oppression liée-s à leur sexe dans de nombreux endroits du globe.

Si plusieurs commentaires témoignent clairement d’une ignorance en termes d’histoire sociale et donc d’histoire du féminisme et des combats féministes, certains relèvent cependant d’un « discours sexiste bien connu ». Aussi, ce qui semble particulièrement faire l’objet d’un rejet, ce sont « les actions de celles qui se revendiquent (aujourd’hui) du ‘féminisme’ ».

Dans un article intitulé « What we can learn from Women against feminism » dans le Daily Dot[6], Lisa C. Knisely dénombre quatre critiques intéressantes de ces femmes contre le féminisme et les féministes d’aujourd’hui :

  1. La tendance de certaines féministes à parler au nom des femmes, pour toutes les femmes ;
  2. Le fait que le mouvement féministe est encore aujourd’hui un mouvement de femmes blanches de la classe moyenne qui pensent en femme blanche de la classe moyenne ;
  3. Le risque de renforcer, par certains arguments, la binarité manichéenne « femmes bonnes vs hommes mauvais » ;
  4. Enfin, elles critiquent le fait que le féminisme d’aujourd’hui ne parle des femmes qu’en tant que « victimes ». Or, elles ne reconnaissent pas comme telles, elles ne s’identifient pas comme telles.

Reconnaître l’intérêt de ces critiques ne revient pas à donner un statut pertinent ou acceptable à l’ensemble des propos tenus par les « Women against feminism » (pensons, en particulier, à l’ensemble des déclarations responsabilisant les victimes de viol). Néanmoins, c’est se rappeler, comme l’indique Lisa Knisely, que nous n’avons pas toujours été féministe-s et que le mouvement féministe est complexe, mouvant, composé d’individu-e-s qui ne peuvent que gagner en puissance en se questionnant, en questionnant leurs combats, leurs modes de communication, leurs valeurs…

Être féministe aujourd’hui et le féminisme ordinaire

Si les arguments antiféministes peuvent permettre aux militantes féministes de mieux penser leur militance, il n’empêche que les mouvements dont ils émanent, en particulier les plus « ordinaires » ne sont pas sans conséquences au quotidien sur les structures féministes préexistantes ou sur les féministes présentes ou en devenir.

Ils contribuent en effet à un mouvement plus global ayant pour objectif de désolidariser et de décrédibiliser les féministes dans leurs actions visant à mettre fin aux inégalités et à un certain modèle social de type patriarcal. Ces mouvements peuvent par ailleurs constituer un obstacle de taille pour l’engagement de nombreuses personnes dans un combat qu’ils/elles jugent néanmoins important et juste.

Gardons dès lors à l’esprit la réflexion finale menée par Francine Descarries sur l’antiféminisme ordinaire :

« Il se trouve toujours un incident, un débat, une publicité, une chronique pour nous rappeler qu’il est beaucoup trop tôt pour abandonner la lutte féministe et renoncer à agir. Sous une forme ou sous une autre, ordinaire, insidieux, explicite ou virulent, l’antiféminisme est toujours contestation du projet d’égalité des femmes. Il traduit tout un ensemble de préjugés et de peurs collectives sur la façon d’entrer en rapport avec l’autre sexe et d’intégrer les changements provoqués par les luttes du mouvement des femmes. Pour le moins, il est l’expression d’une frilosité sociale à l’égard de ces changements [7]».

Frilosité vis-à-vis du changement, sentiment que l’égalité femmes-hommes est une affaire entendue et que les luttes des femmes appartiennent au passé, perception individualisée du fonctionnement social : autant d’aspects qui distinguent l’antiféminisme ordinaire des positions féministes, dont on n’oubliera pas qu’elles sont d’essence progressiste.

J’ajouterai cependant que s’il existe un antiféminisme ordinaire aux yeux, notamment, de Francine Descarries, il y a aussi, selon nous, ce que l’on pourrait qualifier de « féminisme ordinaire », c’est-à-dire un féminisme tacite porté et défendu par des citoyen-ne-s qui n’associent pas spécialement ou directement leurs positionnements aux féminismes et ne se définissent pas comme étant des « féministes », mais qui pourtant défendent l’égalité entre femmes et hommes, dénoncent le sexisme et luttent contre le patriarcat.

En tant que militante au sein d’un collectif féministe liégeois et animatrice au sein d’une association défendant les valeurs du féminisme, je constate qu’il existe nombre d’individu-e-s entrant dans la catégorie « féminisme ordinaire ». Ces citoyen-ne-s rattachent leurs positionnements égalitaires davantage à la défense de la justice sociale qu’au féminisme, sans pour autant remettre en doute la défense des droits des femmes.

Nous constatons aussi que nombre d’individu-e-s défendent le féminisme plus ou moins consciemment, mais ne se définissent pas comme féministes, soit par crainte d’essuyer des remarques, des blagues ou des a priori et de devoir se justifier, soit parce qu’ils ou elles pensent ne pas avoir la légitimé de se dire féministes. Dans ce dernier cas, il ne faut pas négliger les effets de la croyance selon laquelle, pour être féministe, il faut forcément connaître toute l’histoire des droits des femmes, avoir lu tous les essais féministes et comprendre les enjeux de chaque féminisme. Comme si ce « statut citoyen » se méritait par la connaissance et non uniquement par la défense des droits des femmes.

Enfin, Internet et les réseaux sociaux constituent un formidable terrain d’observations. En effet, on peut compter des centaines de milliers d’actions, souvent discrètes, portées par des citoyen-ne-s, qu’ils/elles se définissent ou non comme féministes, dénonçant le sexisme ordinaire, le harcèlement de rue, les inégalités entre femmes et hommes. Aujourd’hui, plus qu’hier, des internautes s’indignent lorsqu’une personne de notoriété publique tient des propos sexistes, même sous couvert d’humour. Et c’est plutôt une bonne nouvelle…


Pour citer cette analyse :

Florence Laffut, "« Femmes contre le féminisme » ou l’antiféminisme ordinaire", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2015. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/221-femmes-contre-le-feminisme-ou-l-antifeminisme-ordinaire

Contact :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] Pour consulter la page Facebook de « Women Against Feminism » : https://www.facebook.com/WomenAgainstFeminism/

[2] Christine BARD (sous la dir. de), Un Siècle d'antiféminisme, Paris, Fayard, 1999, 481 pp.

[3] Francine DESCARRIES, L’antiféminisme "ordinaire", Recherches féministes, vol.18, n° 2, 2005, p. 137-151. En ligne : https://www.erudit.org/revue/rf/2005/v18/n2/012421ar.pdf

[4] Pour Susan Faludi, c’est « […] l’absence de coordination de l’antiféminisme ‘ordinaire’, ainsi que la diversité de ses messages et de ses représentations à travers la publicité sexiste, l’humour et la pornographie notamment, qui le rendent plus difficile à déceler et possiblement plus efficace ». (cf. Susan FALUDI, Backlash. La guerre froide contre les femmes, Paris, Des femmes, 1993).

[5] Cathy YOUNG, “Women Against Feminism: Some women want equality without anger”, in Time Magazine, 2014. En ligne : http://time.com/3028827/women-against-feminism-gets-it-right/

[6] Lisa KNISLEY, “What we can learn from the 'Women Against Feminism' Tumblr, in The Daily Dot, 2014. En ligne : http://www.dailydot.com/opinion/what-we-can-learn-women-against-feminism/

[7] Francine DESCARRIES, « L’antiféminisme "ordinaire" », Recherches féministes, vol.18, n° 2, 2005, p. 137-151 (https://www.erudit.org/revue/rf/2005/v18/n2/012421ar.pdf).

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