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en Éducation Permanente

Comment et pourquoi les politiques en matière de chômage affectent-elles davantage les femmes que les hommes ?

Les mesures très défavorables aux femmes prises par nos deux derniers gouvernements ne constituent pas une nouveauté. Il s’agit au contraire d’une tradition bien ancrée dans notre pays. Des 48 gouvernements qui se sont succédés en Belgique depuis 1945, tous ont au moins une fois légiféré de manière discriminatoire concernant l’indemnisation des femmes sans emploi ou travailleuses à temps partiel. La présente analyse se penche sur ces nombreuses mesures injustes qui ont touché les femmes.

Dans cette analyse, nous développerons une approche chronologique et critique des mesures d’austérité concernant le chômage des femmes. Celle-ci se fonde sur les préoccupations professionnelles d’une formatrice du CVFE. Au sein des groupes en formation à SOFFT (Service d’Orientation et de Formation pour Femmes à la recherche d’un Travail du CVFE), celle-ci est confrontée quotidiennement à des femmes précarisées, demandeuses d’emploi indemnisées ou non, souvent cheffes de famille monoparentale et d’origine étrangère, parfois anciennes victimes de violence conjugale ou intrafamiliale, qui subissent ces mesures de plein fouet. La pression économique qui s’exerce de plus en plus fortement sur ces femmes contrarie leurs possibilités de réinsertion professionnelle, contrairement à ce que le discours politique légitimant les mesures prises veut faire croire[1].

Ce cumul d’inégalités qui caractérise beaucoup de femmes en Wallonie a de quoi interpeler[2]. On est fondé à s’interroger sur les mécanismes socio-politiques qui sont à l’origine de cette « intersectionnalité » diabolique qui s’acharne sur les femmes en difficulté[3]. On voudrait savoir si cette « chasse aux chômeuses/-eurs » (qui se double d’une chasse aux pauvres) est l’apanage des gouvernements aux affaires depuis la crise financière de 2008 ou si une plus longue traîne historique peut être mise à jour pour l’expliquer.

Depuis l’après-guerre, du gouvernement Pierlot IV qui institua les premières bases de la sécurité sociale, au gouvernement Michel, soit sur une période de 70 ans, nous avons connu 48 gouvernements. Chaque législature a au moins une fois amendé ou produit un nouvel article de loi concernant les chômeuse/-eurs.

Définir le chômage ou les chômeuses/-eurs ?

Pour être chômeur, il faut, d'après le BIT[4] qui a adopté une définition du chômage en 1954, avoir plus de 15 ans et remplir les conditions suivantes :

  • être sans emploi, ne pas avoir d’activité, même minimale, pendant la période de référence ;
  • rechercher activement un emploi, c'est-à-dire avoir pris des dispositions spécifiques au cours d'une période récente spécifiée pour chercher un emploi salarié ou non ;
  • être disponible pour travailler[5].

Cette définition a été précisée en 1982. Elle a ensuite été reprise par la plupart des pays du monde, et en particulier par l’Union Européenne. Elle a été complétée par Eurostat[6] afin de pouvoir comparer les pays européens entre eux.

Le Bureau Fédéral du Plan et l’ONEM ont, quant à eux, adopté la définition suivante pour les chômeurs/-euses :

  • les chômeurs/-euses complet-e-s indemnisé-e-s ;
  • les autres chômeurs/-euses inscrites obligatoires inoccupé-e-s ;
  • les autres demandeurs/-euses d’emploi inscrit-e-s librement ;
  • les chômeurs/-euses complet-e-s indemnisé-e-s âgé-e-s, qui ne sont plus demandeurs/-euses d’emploi[7].

Courants politiques de pensée

Comme on vient de le constater, ces différentes définitions se limitent à établir qui peut être considéré comme chômeur/-euse et non ce qu’est le chômage. Pour définir le rôle du chômage, il faudrait plutôt envisager le point de vue sociopolitique du gouvernement en place.

Si l’on se place du point de vue des keynésiens, c’est-à-dire des économistes plutôt progressistes partisans d’une intervention de l’état dans l’économie, c’est une insuffisance de la demande qui provoque un ralentissement de l’activité économique. L’état doit donc stimuler la demande globale. Le chômage est un décalage économique entre l’offre et la demande de main d’œuvre. C’est donc avec le développement économique et ses différentes crises que le chômage variera, entraînant dans son sillage son lot de travailleurs sans emploi (TSE).

Pour les néolibéraux, c’est-à-dire les partisans du laisser-faire économique et de la « main invisible » du marché, le chômage est la conséquence de « l’assistanat qui rend les salariés trop exigeants pour travailler, portant leurs prétentions salariales à un niveau incompatible avec le plein emploi »[8], en sachant que le plein emploi signifie que « tous les salariés qui veulent travailler à ce prix travaillent ». Autrement dit, ceux qui ne veulent pas travailler à ce prix ne sont pas considérés comme des chômeurs, car ils préfèrent les loisirs[9]. On parlera alors de chômage volontaire.

Si le chômage de longue durée s’installe, c’est que le marché du travail est imparfait et il faut corriger ces imperfections en supprimant ce qui empêche ce marché de fonctionner convenablement. Parmi ces entraves au fonctionnement harmonieux du marché qu’il convient de supprimer : le salaire minimum, les cotisations sociales qui sont des coûts engendrés par la main d’œuvre engagée et les allocations de chômage qui permettent d’éviter que les travailleurs sans emploi chômeurs exercent une pression sur les salaires des travailleurs.

Ces deux visions placent la responsabilité du chômage sur des axes bien différents et, en conséquence, les moyens pour y remédier sont diamétralement opposés.

Limiter le droit aux allocations de chômage : une vieille histoire

Aujourd’hui, la volonté de lier les allocations de chômage à l’état de nécessité est clairement exprimée par plusieurs partis du gouvernement Michel. Ainsi, le quotidien La Dernière Heure titrait le 22 août 2014 : « Le MR veut une enquête sur les revenus des chômeurs ». Quant à Kris Peeters, Ministre de l’Emploi du gouvernement Michel, il déclarait, dans une interview au journal Le Soir : « A certains moments, des partenaires au gouvernement ont voulu accroître la dégressivité des allocations de chômage et également organiser un contrôle des ressources, pour vérifier, par exemple, si un chômeur a une maison et supprimer ainsi ses allocations (…) »[10].

Cette idée n’est pas nouvelle. En effet, déjà en 1952 le mandataire CVP De Paepe déclarait à la chambre : « Il y a des abus et les contrevenants, tant parmi les travailleurs que parmi les patrons, doivent être punis. La réglementation doit être sévère. (…) Pour la période d’assistance, nous pourrions admettre que les chômeuses qui ne sont pas chef de ménage ainsi que les chômeurs qui disposent de ressources suffisantes, soient exclus du bénéfices des allocations de chômage »[11].

Si cette proposition (qui visait explicitement les femmes au chômage) venait à être un jour acceptée, elle autoriserait la fin de la logique du caractère obligatoire de l’assurance-chômage qui donne le droit à tout travailleur salarié à des allocations de chômage sans limitation préétablie de durée et sans condition de besoin. Sortir de cette logique, aurait, sans nul doute, de graves implications tant pour les travailleurs sans emploi que pour les salariés qui subiraient encore plus la dégradation de leurs conditions de travail.

Bourgeoisie et classe ouvrière

Rappelons-nous qu'au XIXe siècle, l’industrialisation allait bouleverser profondément le paysage économique et la structure même de l’emploi. Ainsi, les artisans furent amenés à devenir des salariés et « les campagnes fourniront ainsi un réservoir quasiment inépuisable de main d’œuvre à l’industrie qui se développe »[12].

Il faut se plonger dans le contexte de l’époque pour comprendre que toute l’organisation sociale était faite par et pour la bourgeoisie, qui dominait les sphères politique et économique. Seuls les nantis et les bourgeois avaient le droit de vote et étaient donc considérés comme des citoyens. Une autre considération était également répandue dans la bourgeoisie : l’idée déterministe que la condition de chacun était naturelle. Donc, si l’ouvrier était pauvre, c’était normal, puisque c’était sa condition.

A cette époque, Marx décrivait le prolétariat comme la classe sociale ne possédant pas les outils de production et qui, contrairement à la classe bourgeoise, devait vendre sa force de travail pour vivre, en échange de la perception d’un salaire[13]. Il disait aussi à propos du chômage, que « celui-ci joue comme une armée industrielle de réserve et déséquilibre le rapport de force entre les travailleurs et les employeurs ».

Quant à la féministe historique Flora Tristan, elle lia le combat de l’émancipation ouvrière à celui de l’émancipation de la femme car, selon elle, « l'homme le plus opprimé peut opprimer un être, qui est sa femme ; [la femme] est la prolétaire du prolétaire même »[14].

Le conditionnement de l’aide sociale à l’état de besoin : les prémices

Ce n’est qu’après la Première Guerre Mondiale, sous l’impulsion de Joseph Wauters[15], Ministre socialiste du travail et de l’industrie, que des mesures d’aide aux caisses syndicales – initialement créées par les ouvriers dans un mouvement de solidarité pour mutualiser les risques – furent mises en place et rendirent les allocations illimitées dans le temps. C’est également à cette époque que le Fonds National de Crise (FNC) fut créé.

En 1921, il y eut une tentative pour rendre le système d’assurance-chômage obligatoire, « mais un changement de gouvernement catholique-libéral [empêcha] cette proposition. Le ministre répondant aux inquiétudes du patronat, [décida] même de réduire le montant et la durée d’indemnisation des travailleurs sans emploi »[16], bien que le patronat n’intervienne pas dans l’indemnisation du travailleur sans emploi. Désormais le TSE devait être dans un état de besoin pour pouvoir bénéficier des indemnités du FNC.

Ainsi, on assista à l'exclusion des femmes chômeuses dont le mari travaillait au moins quatre jours par semaine. Il en fut de même pour des femmes chômeuses dont le conjoint touchait des allocations du Fonds National de Crise. L’attitude des patrons pouvait être résumée de la manière suivante : « Il est nécessaire de mettre immédiatement un terme aux abus et aux gaspillages auxquels donnent lieu le Fonds National de Crise et de chômage, source de démoralisation et de charges intolérables pour les contribuables, rejaillissant de leurs côtés sur les prix de revient et le coût de la vie »[17].

Un pas en avant, deux pas en arrière : l’ennemi, les chômeurs, mais surtout les chômeuses

Les années suivantes, grâce à la reprise économique, de nouveaux acquis sociaux virent le jour : la loi des huit heures, le suffrage universel pour les hommes de plus de 21 ans en 1920 (mais les femmes ne pouvaient voter qu’aux communales), ainsi que des reconnaissances syndicales.

Cela étant, la grande crise financière et économique de 1929 à 1935 engendra de nouveau un accroissement du chômage. Elle toucha bon nombre de travailleurs. Le chômage ne descendit pas sous le « seuil de 35%, et encore, ces chiffres ne tiennent compte que des seuls travailleurs assurés »[18]. Le chômage toucha la Belgique dans son ensemble, mais plus particulièrement les provinces d’Anvers et de Flandre Orientale. Entre le mois d'août 1930 et celui de novembre 1934, l'augmentation du chômage toucha près de 200.000 personnes et, à ces chiffres, nous devrions encore ajouter les TSE à temps partiels qui n'étaient pas comptabilisés. Cette pratique est d'ailleurs toujours d’actualité !

Le patronat profita de cette crise pour « lancer une nouvelle offensive contre les allocations de chômage (…) Le gouvernement catholique-libéral cède à la pression. Il limite l’accès au chômage et réduit le montant des allocations : les jeunes, les étrangers, les femmes mariées et les hommes dont les femmes travaillent sont les premiers pénalisés»[19].

En 1932, le gouvernement créa par arrêté royal la notion d’« état de besoin ».

En 1933, le gouvernement limita l’accès au chômage et réduisit le montant des indemnités. De plus, pour pouvoir en bénéficier, la personne devait avoir travaillé pendant un an de façon régulière.

En 1934, des pouvoirs spéciaux furent votés et des arrêtés pris. Ceux-ci touchaient tout particulièrement les travailleurs sans emploi. Les allocations du TSE dont la femme travaillait furent diminuées d’un quart. A cette époque, les femmes ne furent plus engagées dans l’administration (sauf comme femmes d’ouvrage). Les mesures allaient donc jusqu’à l’exclusion des femmes du monde du travail. En effet, les femmes au travail, mariées ou non, ont été remplacées, petit à petit, par des hommes TSE. Avec de telles mesures, 113.956 TSE ont perdu le droit aux allocations en l’espace d’un an[20].

Des avancées réelles, mais étendues dans le temps

Malgré ces attaques systématiques contre le monde du travail, il est utile de préciser que le XIXe siècle et la première partie du XXe siècle ont vu entrer en résistance une grande partie de la population ouvrière, observé la création de mutuelles et d’organisations syndicales, pris acte de la reconnaissance du fait syndical, du droit de grève, de l’élaboration du contrat de travail, de la reconnaissance des accidents de travail, de la journée des huit heures.

Autres conquêtes : une règlementation sur le travail des enfants et des femmes, ainsi que les congés payés, en passant, sur le plan des droits politiques, par l’obtention du droit censitaire, le vote plural, celui des femmes aux élections communales, pour en arriver au droit de vote universel en 1948 (donc, celui des femmes aux élections législatives).

Au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale et de la résistance collective à l’occupant, les mécanismes de solidarité sur base volontaire ont été étatisés et surtout rendus obligatoires pour tous : création de la sécurité sociale en 1944 et allocations de chômage payées par l’Etat, le prélèvement des cotisations se faisant immédiatement sur les salaires.

Evolution des textes de loi et de la société

Il a fallu attendre l’article 76 de l’A.R. du 26 mai 1945 pour que soient admis au bénéfice des allocations de chômage les travailleurs qui justifiaient d’un passé professionnel, ainsi que les personnes qui avaient terminé des études.

Réduction du droit d’accès aux allocations pour les femmes sur base du travail et de la situation familiale

En 1935, l’Office National de Placement et de Chômage fut créé. Il sera remplacé par l’ONEm en 1961. Mais à peine était-il né que les femmes allaient déjà en être exclues ! Selon l’Arrêté du Régent du 29 décembre 1945, les travailleuses qui ne pouvaient justifier d’une durée de travail de trois mois minimum, à partir du 1er décembre 1944, ne pouvaient bénéficier des allocations.

En 1949, une nouvelle réduction de l’accès aux allocations pour les femmes fut prise, ces dernières étant soupçonnées de vouloir élever leurs enfants sans travailler, tout en profitant des allocations. Ainsi l’arrêté du 12 mars, modifié le 25 septembre 1949, avait introduit deux catégories de femmes : les célibataires, veuves, divorcées ou séparées et celles qui étaient mariées et dont les revenus ne constituaient pas la principale ressource du ménage. Les périodes de référence étaient également différentes. De plus, l’Office révisa chaque année l’admissibilité aux allocations. Douze mille femmes furent exclues à cause de cette mesure[21].

Dans l’immédiat après-guerre, le taux de chômage descendit en dessous des 3,5% de la population assurée[22]. Cependant, cette croissance fut de courte durée et, entre 1948 et 1953, c'est principalement les femmes qui furent pénalisées par les pertes d’emploi. « Alors qu’elles représentaient 20% des TSE en 1948, ce chiffre passa à 36% en 1953 »[23]. Cette hausse permit de transmettre l’idée que celles qui bénéficiaient des allocations de chômage étaient des mères au foyer qui ne voulaient pas ou plus travailler. Elles en ont dès lors été exclues massivement.

Réduction d’accès aux allocations sur base du comportement de recherche

Un arrêté ministériel du 6 mai 1949, institua le système des « chômeurs mis au travail ». Le terme en soi donne le ton paternaliste de l’époque. La mesure est surtout une ancêtre des aides à l’embauche pour des travaux d’utilités publics.

Le 13 décembre 1951, le nouvel AR 77 quinquies prévoyait d’exclure plusieurs catégories de personnes, dont les femmes mariées ou assimilées, du bénéfice des allocations, au prétexte de chômage de longue durée ou qui se renouvelait anormalement. Les critères étaient fixés par le comité de gestion de l’Office et approuvés par le Ministre du travail. La décision de l’exclusion était prononcée par le directeur du bureau régional.

En septembre 1952, une nouvelle modification étendait l’article à une nouvelle catégorie : ceux qui n'étaient pas effectivement à la recherche d’un emploi. Cet article renforça bien sûr l’exclusion des femmes. Celles-ci devenant dépendantes de leur mari ou conjoint. Or, la loi prévoyait une indemnisation quelles que soient les conditions de besoin. De plus, cette nouvelle disposition ouvrait la porte à l’arbitraire, dans la mesure où c’était le directeur du bureau régional qui décidait si une personne était dans un chômage anormalement long ou se renouvelant trop souvent. Cette modification fut retirée en 1955.

Réduction d’accès aux allocations sur base de la durée du chômage et selon le statut

Le 1er octobre 1953, deux modifications furent mises en place. D'une part, il y eut une nouvelle modification de l’article 77 quinquies : « une limitation de la durée d’indemnisation par trimestre civil au nombre de journées de travail prestées au cours du trimestre précédent pourra être ordonnée à l’égard des chômeurs »[24]. Cette mesure permit de refuser les allocations à certaines chômeuses sous prétexte que celles-ci étaient conditionnées par le nombre de journées prestées. D’autre part, l’introduction d’un nouvel article (le 77 sexies) prévoyait une limitation de la durée d’indemnisation des femmes mariées et « concubines », non soutien de ménage et qui bénéficiaient pour la première fois des allocations. Elles percevaient des indemnisations au prorata du nombre de journées prestées.

« Si en 1954 le nombre de chômeurs diminuait de +/- 9%, la sévérité des bureaux régionaux vis-à-vis des femmes s’accroissait dans des proportions considérables. Sur 10.745 dossiers de chômage de longue durée ou trop fréquent, les femmes représentaient 77% »[25].

Le 27 décembre 1961, le gouvernement Eyskens fit passer un AR dit « Loi unique ». Celui-ci toucha aussi les demandeurs d’emploi. Ainsi, l’AR modifia de façon radicale l’art. 77 quinquies en limitant la durée d’indemnisation pour le chômage de durée ou de fréquence anormale à tous les chômeurs complets ou partiels et instaura les visites domiciliaires.

Arrêt du calcul des allocations sur base du sexe

C’est en 1971, par l’AR du 3 octobre, que les allocations furent calculées sur base d’un pourcentage du salaire perdu, la variation de la durée du chômage et de la composition de ménage et non plus sur base du sexe du/de la demandeur/-euse d’emploi.

Après le choc pétrolier de 1973, le chômage résiduel devint du chômage structurel. Le nombre de chômeurs ne cessa de croître. Comme l’explique Paul Palsterman, « le nombre de chômeurs entre 1973 et 1983 (prépensionnés compris) passa de 125.000 à 700.000 ; les dépenses passèrent de 13 à 187 milliards de BEF. Dans les années qui suivirent, la croissance du chômage se ralentit, sans cependant jamais vraiment cesser. En 1999, 981.027 personnes percevaient des allocations de l’Onem, dont 418.000 chômeurs complets indemnisés »[26].

Versements et prélèvements des allocations : de l’incohérence des modes de calcul

L’AR du 24 décembre 1980 introduisit des différences de statuts pour les chômeurs - cohabitants, isolés, chefs de famille - créant des inégalités de perception des allocations selon la situation familiale, alors que, quand la personne travaillait, les prélèvements étaient réalisés en fonction de son salaire et non de sa situation familiale.

En 1986, un arrêté introduisit, par pouvoirs spéciaux, la suspension des allocations pour le TSE cohabitant de moins de 50 ans, qui n’avait pas 20 ans de carrière et dont le revenu du ménage dépassait les 600.000 FB par an. Il était tenu compte de la durée de chômage. Celle-ci devait dépasser du double la durée moyenne du chômage de l’arrondissement dans lequel habitait le chômeur. « Précisons que les mesures de sélectivité familiale visaient particulièrement les femmes dont le risque de chômage était plus élevé que celui des hommes : 70% des chômeurs sont cohabitants et 90% des cohabitants sont des femmes »[27].

Nouveaux types de contrat et garanties de revenu

L'AR du 3 juillet1985 instaura l’indemnisation des heures d’inactivité des travailleurs à temps partiel involontaires. Ces contrats ont étés massivement proposés pour des emplois où les femmes étaient majoritairement présentes. L’idée qui prévalait à l’époque étant de dire qu’un salaire et demi par ménage était suffisant.

C’est également dans les années 80 que furent introduites des dispenses de cotisations à l’ONSS pour l’engagement de personnes indemnisées. Ainsi sont nés différents plans d’embauche pour réduire le chômage et inciter les employeurs à engager. Ainsi vit-on se succéder, au fil des années, les CST, TCT, les Stagiaire ONEm, les FBI, les contractuels, les Maribel, les Activa, les Rosetta, les Win-Win.

Les ALE (agences locales pour l’emploi) virent le jour, pour permettre la mise au travail de façon limitée et ponctuelle de chômeuses et chômeurs de longue durée, qui conservaient ce statut tout en effectuant des prestations pour des particuliers en échange de « chèques ALE ». Une campagne de publicité un brin sexiste fut mise en place pour les promouvoir : « Sabine fait le ménage et Gaston tond le gazon ». Madame Miet Smet, à l'époque Ministre de l’emploi et du travail, déclarait : « Nous devons faire quelque chose pour aider les chômeurs. Les aider consiste à les accompagner, mais aussi à faire pression sur eux »[28]. Les ALE furent suivies par le système des Titres Services en 2001, système qui a pour ambition de créer des contrats de travail en bonne et due forme pour ce type de prestations.

Conclusion

Ce bref survol le démontre clairement : par rapport aux politiques de leurs prédécesseurs, les mesures d’austérité instaurées par les gouvernements Di Rupo et Michel depuis 2012 ne sont ni originales, ni progressistes. S’en prendre aux femmes en matière de restriction des droits sociaux est une tradition bien établie en Belgique.

Dès lors, doit-on vraiment s’étonner que le gouvernement « Papillon » ait pris la décision qui a mené à l’exclusion de plusieurs dizaines de milliers de bénéficiaires des allocations d’insertion depuis janvier 2015 (dont 64% de femmes) ou que le gouvernement Michel réduise l’accès aux AGR (allocations de garantie de revenus) pour les travailleuses/-eurs à temps partiel (parmi lesquels les femmes sont très majoritaires) ?

L’apparente neutralité de ces mesures au plan du sexe n’est évidemment qu’une façade. On n’ignore pas qu’une majorité écrasante de femmes figure parmi les exclus et les précarisés. La conciliation vie professionnelle-vie familiale, dont on sait qu’elle repose encore aujourd’hui sur les épaules des femmes, est rendue de en plus en plus difficile. Et les pensions qui seront rabotées en raison d’une carrière discontinue, ce seront d’abord celles des femmes.

Notre analyse démontre que les inégalités de genre ont la dent dure dans le milieu du travail et dans les politiques d’indemnisation du chômage. Le fait que le calcul des allocations de chômage ait été dépendant du sexe d’appartenance jusqu’à 1971 en est l’exemple le plus flagrant, mais les lois actuelles qui ne peuvent plus discriminer selon le sexe contournent l’interdit grâce à d’autres concepts (comme celui de « cohabitant »), voire elles sont utilisées au détriment des femmes. Qu’on songe à l’alignement progressif, sous prétexte d’égalité, du calcul de la pension des femmes sur celui qui s’applique aux hommes (65 ans), mesure qui a été prise lors de la réforme des pensions de 1997 et qui induit une forte diminution des pensions réellement perçues par les femmes.

Les inégalités salariales persistantes mènent à la reproduction des inégalités dans les revenus dérivés du travail, y compris lorsque le système de calcul a évolué vers une forme plus égalitaire, à savoir sur base du salaire perçu. Aujourd’hui encore, malgré des dispositions légales contraignantes en matière d’égalité, l’écart salarial entre femmes et hommes reste supérieur à 20%[29].

La vision historique des politiques socio-économiques et de leurs effets négatifs sur les conditions de vie les femmes est éclairante. L’ampleur des conséquences de mesures inégalitaires se mesure parfois après des années, par exemple quand leur application est étalée dans le temps ou lorsqu’il s’agit de revenus différés comme la pension.

Sans cette vision historique, adoptée ici, on ne voit pas aussi clairement comment la main d’œuvre féminine est constamment dévaluée dans la concertation sociale, combien les femmes sont appauvries injustement par le système et combien les avancées pour l’égalité qui ont pu être acquises d’un côté se voient aussi vite détricotées par ailleurs.

Le survol des politiques socio-économique des deux derniers siècles et l’analyse des mesures concernant les travailleuses/-eurs sans emploi en Belgique depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale confirment l’intuition fulgurante de Flora Tristan : « l'homme le plus opprimé peut opprimer un être, qui est sa femme ; [la femme] est la prolétaire du prolétaire même »[30].

La grande majorité des alliances gouvernementales qu’a connue la Belgique a pratiqué des politiques d’inspiration libérale au service des intérêts du patronat. On peut donc affirmer, dans un premier temps, que ces politiques sont pour la plupart d’essence anti-populaire, qu’elles se sont faites au détriment des classes laborieuses et, notamment, des allocataires sociaux, tous sexes confondus.

Mais, en même temps, on voit aussi que les femmes ont toujours été prioritairement dans le collimateur des mesures de régression sociale, comme la variable d’ajustement commode sur laquelle on peut agir à tout moment, sous des prétextes sexistes variés : s’occuper de l’éducation de ses enfants en profitant des allocations de chômage, n’avoir droit qu’à des allocations réduites parce qu’on cohabite avec un travailleur masculin ou qu’on ne puisse pas toucher d’allocations de chômage parce que l’emploi occupé n’a pas duré assez longtemps.

La question posée au début de cet article était : « Comment et pourquoi les politiques en matière de chômage affectent-elles davantage les femmes que les hommes ? ». La démonstration du « Comment ? » a été faite. Quant au « Pourquoi ? », il tient aux mêmes phénomènes que ceux qui font que seulement 48% des causes de l’écart salarial entre femmes et hommes sont objectivables[31].

Qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que 52% de ces causes sont indéterminées parce qu’elles relèvent des stéréotypes sexués, de la répartition genrée des rôles sociaux propre à la société patriarcale et des phénomènes de domination et de discrimination dont les femmes continuent à faire les frais.

La vision égalitaire du CVFE et son action aux côtés des femmes sans emploi se trouvent en désaccord profond avec ces mesures régressives pour les femmes. Nous nous étonnons que des mesures aussi injustes pour les femmes puissent être encore prises aujourd’hui, alors même qu’existe depuis 2007 la loi sur le gender mainstreaming[32], qui devrait contraindre les gouvernements à adopter une vision qui ne discrimine plus les femmes.


Pour citer cette analyse :

Pascale Pluymen et Emilie De Dekker, "Comment et pourquoi les politiques en matière de chômage affectent-elles davantage les femmes que les hommes", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2015. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/224-comment-et-pourquoi-les-politiques-en-matiere-de-chomage-affectent-elles-davantage-les-femmes-que-les-hommes

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Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] Pluymen (Pascale), Les politiques gouvernementales et le chômage de masse. Comment, dans les périodes de chômage élevé, les politiques gouvernementales affaiblissent les droits des travailleurs sans emploi ?, Certificat d’Université en Politiques économiques et sociales (PES), 2015, 25 pages.

[2] Exemples : le taux de pauvreté des femmes wallonnes est plus important que celui des hommes : 20,5% contre 17,9% ; la moitié des familles monoparentales vit dans la pauvreté (54,3%), alors que les femmes avec enfants constituent la grande majorité des familles monoparentales (85,5% en 2006 pour la Wallonie) (Cf. Les facteurs de précarité. Photographie statistique de la situation des femmes et des hommes en Wallonie, Namur, IWEPS, 2008, page 87).

[3]L’intersectionnalité est une notion employée en sociologie et en réflexion politique, qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société donnée (http://fr.wikipedia.org/wiki/Intersectionnalité).

[4] Situé à Genève (Suisse), le Bureau international du Travail (BIT) est le secrétariat permanent de l’OIT (Organisation internationale du Travail). L’OIT fut fondée en 1919, dans la foulée du Traité de Versailles, dans l’optique de protéger le monde de la guerre en promouvant la justice sociale. Fonctionnant sur une base paritaire (états, représentants patronaux et représentants du monde du travail), l’OIT œuvre à l’amélioration des conditions de travail au niveau mondial en promouvant des réglementations concernant la durée du travail, les barèmes salariaux, les droits des travailleuses/-eurs et, plus récemment, le travail décent. Il dispose aussi d’un important service statistique. L’OIT est une institution spécialisée de l’ONU depuis 1946 (cf. http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/lang--fr/index.htm)

[5] Cf. http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/default.asp?page=dossiers_web/chomage/chomage-bit.htm

[6] Office statistique de l’Union européenne.

[7] Tollet (R.), Schüttringer (S.), « Les définitions du chômage au plan national et international », DG.4125, septembre 1988.

[8] Cordonnier (Laurent), Pas de pitié pour les gueux. Sur les théories économiques du chômage, Paris, Ed. Raison d’Agir, 2008, page 71.

[9] Cordonnier (Laurent), op. cit., page 39.

[10] Coppi (David) et Demonty (Bernard), in Le Soir, samedi 1er et dimanche 2 août 2015, n° 177, édition Liège.

[11] Déclaration du 26 février 1952

[12] Faniel (Jean), Les syndicats, le chômage et les chômeurs en Belgique, raisons et évolution d’une relation complexe, volume II, page 160.

[13] Harman (Chris), Une histoire populaire de l’humanité, Paris, La découverte/Poche, 2015, page 357 (chapitre 32 : La révolution industrielle).

[14] http://www.universalis.fr/encyclopedie/flora-tristan/

[15] Joseph Wauters (1875-1929), intellectuel et réformateur progressiste, membre du POB (Parti Ouvrier Belge), fondateur de la première mutuelle ouvrière en 1895 et initiateur de la “loi des huit heures” après la guerre 14-18 (sur la limitation de la durée du travail quotidien à huit heures) (Wikipedia-fr).

[16] Faniel (Jean), op. cit., volume II, page 248.

[17] Loriaux (Florence), « Histoire d’un acquis : l’allocation de chômage » (http://www.stopchasseauxchomeurs.be/fichiers/histoirechomagebelgique.pdf).

[18] Faniel (Jean), op. cit., volume II, page 251.

[19] Coumont (Julie), « L’histoire d’une conquête syndicale : l’assurance-chômage », CNE, 2011 (http://www.cne-gnc.be/cmsfiles/file/Le%20Droit/Dossiers/11-2011%20-%20L%27assurance%20chomage.pdf).

[20] Loriaux (Florence), loc. cit.

[21] Layon (Emile), « L'exclusion du bénéfice des allocations pour chômage de longue durée : l'article 143 de l'arrêté royal du 20 décembre 1963. », Courrier hebdomadaire du CRISP, 14/1978 (N° 799), pages 1-35 (www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-1978-14-page-1.htm).

[22] Faniel (Jean), op. cit., volume II, page 290

[23] Ibidem, page 297.

[24] Layon (Emile), loc. cit., point 42.

[25] Layon (Emile), loc. cit., points 49-51.

[26] Palsterman (Paul), « La notion de chômage involontaire (1945-2003). », in Courrier hebdomadaire du CRISP, 21/2003 (n° 1806), pages 5-48.

[27] Loriaux (Florence), loc. cit.

[28] Journal Le Matin, 10/12/1998.

[29] Selon le rapport établi par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) en 2013, l’écart salarial au niveau du salaire horaire s’élève à 10% en défaveur des femmes. Cet écart représente 23 %, si l’on prend en considération les salaires annuels. Ce pourcentage est plus important car, dans cette évaluation, on prend en considération la répartition inégale de la durée du travail, une majorité du travail à temps partiel étant le fait des femmes (Cf. http://www.emploi.belgique.be/defaultTab.aspx?id=8486).

[30] http://www.universalis.fr/encyclopedie/flora-tristan/

[31] Ibidem.

[32] http://igvm-iefh.belgium.be/fr/domaines_action/gender_mainstreaming/rapporteren

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