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Publications
en Éducation Permanente

Féminisme, réseaux sociaux et éducation permanente

Comment utiliser les réseaux sociaux dans une optique militante ou de changement social ? L’enjeu est réel : on en a aperçu l’ampleur et les limites lors des Printemps arabes. La mise en perspective de l’expérience menée sur Facebook par le groupe activiste féministe Ginger permet une première approche de la relation possible entre réseaux sociaux et éducation permanente.

Les réseaux sociaux sont-ils les nouveaux berceaux de l’engagement ? Celles et ceux qui sont connecté-e-s sont-ils tou-te-s des militant-e-s potentiel-le-s ? Toute révolution passera-t-elle aujourd’hui forcément par Internet ? Partons d’abord d’un constat que nul-le ne peut nier. Les modes de fonctionnement de l’activisme politique, c’est-à-dire un engagement politique et citoyen militant privilégiant l’action directe, ont évolué avec l’essor de l’ère numérique. Ere sur laquelle reposent les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et LinkedIn entre autres. Ces derniers ont permis une démocratisation de l’utilisation des moyens de communication, ainsi que la diffusion massive d’informations vers le grand public.

Sur base de ce constat, les Ginger, groupe d’activistes féministes du CVFE, s’engage dans une réflexion portant sur les l’activisme en ligne par le biais des réseaux sociaux en vue d’un changement social. Cette réflexion est d’autant plus nécessaire que le débat est vif quant aux rôles des médias citoyens. Ces derniers se définissent-ils par les démarches de coproduction de l’information avec la société civile ou font-ils référence à un type de contenus à même de renforcer la capacité des personnes et à les faire entrer en action ? Comment doit-on appréhender la multitude de formes d’expression qu’offrent Internet et ses réseaux sociaux ?

Pratiques militantes et mobilisation collective

Les ONG, les militants, les activistes sont nombreux à s’être saisis très tôt des outils numériques pour gagner en visibilité, pour partager leurs points de vue, pour amener une réflexion collective, pour s’organiser et mettre en place une action.

Les réseaux sociaux ont déjà joué un rôle essentiel en termes de mobilisation et d’organisation. Repensons par exemple au Printemps Arabe qui a pris de l’ampleur grâce au réseau social de Twitter. Néanmoins, ces outils restent vulnérables et enclins à de la surveillance et du contrôle de la part de l’Etat.

Certains évènements récents en Turquie démontrent bien ce risque. En effet, l’Etat a bloqué l’accès à Twitter, quelques heures après la menace lancée par le Premier ministre Erdogan d’interdire le réseau social en représailles à la publication d’enregistrements d’écoutes téléphoniques qui le mettait au cœur d’un scandale de corruption. Erdogan déclarait ceci devant des milliers de partisans : «Nous allons supprimer Twitter. Je me moque de ce que pourra dire la communauté internationale. Ils verront alors la force de la Turquie». Cet évènement a alors enflammé, à juste titre, un vif débat quant au paradoxe des réseaux sociaux qui vacillent entre émancipation et danger, entre des libertés individuelles/collectives et des données de la vie privée.

En plus de ces dangers qui caractérisent l’usage d’Internet et de ses réseaux sociaux à des fins de revendications, le débat est aussi porté sur l’efficacité de ces outils numériques en termes de mobilisation de toute une communauté de citoyen-ne-s en vue d’interpeller la sphère politique et d’opérer un changement. Selon Avaaz[1], Internet permet de mobiliser des centaines de milliers d’individus. Le « militantisme canapé » serait, selon eux, efficace. Mais qu’en est-il de la réelle mobilisation ? Comment faire descendre les indigné-e-s dans la rue ?

Pour les Ginger, les outils numériques restent redoutables autant dans l’accès à l’information que pour sa propagation ou l’organisation d’actions de sensibilisation. En quelques clics, en quelques secondes, des informations en provenance du monde entier sont à votre portée. En un tournemain, vous pouvez inviter vos contacts, et les amis de vos amis, à une manifestation, un flashmob[2] ou leur soumettre une pétition à signer et à partager.

Cependant, l’accès à une documentation de plus en plus élargie nécessite de développer son esprit critique, c’est-à-dire cette capacité à faire le tri, à déterminer la pertinence des informations qui sont disponibles.

Ensuite, la propagation de ses propres informations, de ses propres analyses, nécessite d’y mettre encore plus les formes qu’auparavant. Le message doit être percutant, attirer l’attention du lecteur, -trice et ne pas le/la perdre. Comment procéder, dès lors, lorsqu’il s’agit de résumer des situations complexes sans pour autant tomber dans le simplisme et la pensée à base de slogans ?

Mais encore, lorsqu’il est question d’aborder l’égalité entre les femmes et les hommes, comment résister à la levée de boucliers qui suit l’énonciation du terme féminisme ? Et comment survivre aux anathèmes régulièrement prononcés par les tenant-e-s des différents courants à l’égard les un-e-s des autres ?

Enfin, comment traduire ces débats et actions virtuels en actions concrètes IRL (c’est-à-dire « In Real Life », dans la vraie vie) ? Comment passer du slacktivisme (je « like », je signe, je partage)[3] à l’activisme (nous agissons) ?

Ginger sur Facebook : un lieu d’expérimentation.

Autant de questions et de constats que nous avons pu poser en observant la vie du groupe Ginger sur Facebook, page active depuis 2011. Le groupe virtuel étant lui aussi autogéré, chacun de ses membres est libre de poster des articles, des vidéos, des photos, susceptibles de provoquer des réactions et des débats.

A l’origine, il s’agissait avant tout de partager des informations sur la sécurité des femmes, en lien avec le groupe d’autodéfense. Une partie des membres du groupe avaient en effet en commun de pratiquer une forme d’autodéfense féministe et certaines d’entre elles avaient suivi les ateliers de Seito Boei proposés au CVFE[4]. Ensuite, le groupe s’est ouvert à celles qui pratiquaient ou enseignaient le Seito Boei à l’étranger (France et Québec principalement) et à celles qui découvraient un espace féministe «  différent »[5].

Au fil du temps, les publications ont évolué, reflétant dès lors l’actualité des droits des femmes et des luttes féministes autour du monde. Les débats quant aux mobilisations dans la vie réelle s’y tiennent toujours  partiellement, parce que le groupe Facebook permet de mettre au courant les Ginger qui n’ont pas pu participer aux réunions.

Ce groupe Ginger sur Facebook est donc un lieu idéal pour observer les démarches de construction collective des savoirs, de développement de l’esprit critique et de mobilisation citoyenne qui peuvent se mettre en place dans un groupe féministe virtuel, dans une optique d’éducation permanente. S’informer, critiquer, débattre : un processus collectif

Les informations circulant via les réseaux sociaux sont innombrables et, comme souvent, il y a à boire et à manger. Comment faire en sorte d’en évaluer la pertinence ? Comment faire le tri entre le vrai et le faux ? Si certaines des participantes au groupe Ginger sur Facebook sont des utilisatrices aguerries des sites comme Hoaxbuster[6], toutes ne le sont pas et il est assez courant que soient publiées des légendes urbaines issues de sites d’extrême-droite.

Dans ce cas, plutôt que de crier « Haro sur le baudet ! », la démarche est avant tout de discuter du contenu, mais aussi du contenant. Bien entendu, cette façon de faire ne s’est pas construite en un jour et de nombreuses polémiques ont eu lieu au sein du groupe suite à des publications qui paraissaient inappropriées ou malvenues.

En effet, certains textes relatant des expériences arrivées à des jeunes filles ou femmes sortant seules, par exemple, paraissent de prime abord bien intentionnés. Ils constituent des mises en garde pleine d’un apparent bon sens. Mais à y regarder de plus près, ces histoires inventées de toutes pièces et ne citant aucune référence probante pourraient surtout avoir pour conséquence d’éloigner les femmes de l’espace public, au nom de leur sécurité. Dès lors, il est important de rationnaliser avec des faits concrets en démontrant, par exemple, que le danger est potentiellement chez soi, avec une personne de notre entourage.

Avec cette page Facebook, nous sommes bien en présence d’un processus de co-construction des savoirs. L’analyse des textes, chacune apportant des éléments, ainsi que le partage des trucs et astuces pour désamorcer ce genre de rumeurs, et pour gérer le danger, tout cela renforce les capacités de critique des participantes. Cela améliore aussi leur sens de la rhétorique et de l’argumentation.

De la communication à l’engagement IRL

Outre l’échange d’informations et le débat sur les questions de société, une utilisation possible des réseaux sociaux dans un cadre militant est aussi la diffusion de pétitions et d’invitation à des actions, qu’elles soient virtuelles ou IRL.

Cependant, cette forme de militance a son revers. En effet, il est très confortable de s’engager par écran interposé. Cliquer sur « J’aime », signer une pétition en ligne et la transférer à ses amis et contacts, changer sa photo de profil ou utiliser un « hashtag » spécifique sur son compte Twitter[7], tout cela relève d’une pratique qui s’est développée en même temps que les réseaux sociaux, le « slacktivisme » (ou clictivisme) déjà évoqué.

Loin d’être inefficace, cette forme d’engagement permet, entre autres, de soutenir individuellement un plus grand nombre de causes. Le slacktivisme peut amener des marques commerciales à changer leurs modes de production, par exemple. En effet, les retombées d’une campagne de dénonciation sur les réseaux sociaux peuvent être très importantes sur l’image d’une marque. Nous sommes donc en face d’une nouvelle forme de lobbying. D’autre part, nombreuses sont les ONG ayant recours à ce type de campagne afin de sensibiliser le plus grand nombre et de lever des fonds, par exemple.

Il n’est sans doute pas pertinent d’opposer slacktivisme et activisme sur le terrain. Ce sont deux façons d’agir qui peuvent être complémentaires. Toutefois, il est facile de militer en quelques clics et beaucoup moins de participer à des actions dans l’espace public. En effet, tandis que le slacktiviste agira en toute sécurité derrière l’écran de son ordinateur, l’activiste, lui, même dans le cadre d’actions tout à fait pacifiques, s’exposera et se mettra potentiellement en danger. Aussi, alors que le slacktivisme permet de se joindre à des actions déjà toute pensées et préparées, l’activisme demande, quant à lui, une certaine implication dans la préparation des actions.

Ainsi, si on compare le nombre de participantes au groupe Facebook Ginger, et le nombre de participantes réellement présentes lors des actions de terrain, on passe de 180 membres à une dizaine de participantes actives. Bien entendu, toutes ne sont pas réellement actives dans le groupe (il est très facile de s’inscrire) et certaines sont géographiquement éloignées des lieux d’actions habituels. Cependant, des Bruxelloises ont rejoint les Liégeoises lorsqu’il s’est agi de participer à la « slutwalk[8] » ou à la marche européenne pour le droit à l’IVG.

Notons que le choix des actions IRL se fait souvent via le groupe Facebook, à travers le partage d’informations et les débats sur les différents sujets d’actualité. De là se dégagent les thématiques qui semblent intéressantes aux participantes et les angles d’attaque de ces questions. Par la suite, le relais passe au groupe restreint, qui prépare les actions, non pas pour exclure d’autres contributrices, mais tout simplement pour des raisons pratiques. Libres à celles qui sont disponibles de se joindre alors au « noyau ».

En guise de conclusion

Les réseaux sociaux sont relativement incontournables, au point que même des mouvements alternatifs radicaux se sont résolus à créer leur page pour « exister » et se coordonner. Quoi que l’on pense de Facebook, il peut s’avérer un outil efficace, non seulement d’accès à l’information, mais aussi d’évolution des mentalités par le débat contradictoire et la recherche d’arguments. Le réseau social peut également prendre, pour certain-e-s, une dimension politique d’émancipation individuelle et collective, à travers la porte d’entrée vers les actions directes qu’il facilite.

L’autogestion et la modération par le groupe ont fait leurs preuves : les intervenantes du CVFE peuvent partir en vacances, des articles continuent à être postés et les trolleuses évincées[9].

Il reste à demeurer vigilant-e-s pour que cet outil reste accessible aux femmes qui sont moins à l’aise avec l’écrit, complexées par leur orthographe ou qui sont en butte à la fracture numérique du second degré. L’équipe du CVFE vise à valoriser toutes les participations, tous les changements, toutes les initiatives, même modestes.

L’ouverture à la mixité hommes/femmes a récemment été souhaitée par une partie du groupe, mais n’ayant pas abouti à un consensus, elle a donné lieu à une page « bis » où l’on aborde librement les questions de genre et d’égalité : Ginger et Fred, « Ici on n’oblige pas Fred à s’taire »[10].

Enfin, il reste important à nos yeux de ne pas s’enfermer dans une pensée unique. Les controverses sur le net peuvent être violentes et ce groupe n’y a pas toujours échappé. Sur des questions qui déchirent, comme la prostitution ou les Femen, chacun-e, protégé-e par son écran peut être tenté-e d’être cinglant-e. Avoir raison peut alors devenir un but en soi… Causant le départ de personnes avec d’autres sensibilités.

Le « savoir-être » reste la première et la plus dure exigence et les réseaux sociaux un nouveau terrain d’expérimentation pour pratiquer l’affirmation de soi, … avant de changer le monde.


Pour citer cette analyse :

Florence Laffut et Virginie Godet, "Féminisme, réseaux sociaux et éducation permanente", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2014. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/229-feminisme-reseaux-sociaux-et-education-permanente

Contact :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] « Avaaz.org est une organisation non gouvernementale internationale de cybermilitantisme, fondée en 2007. Se présentant comme une « communauté démocratique supranationale », elle déclare vouloir encourager les citoyens du monde entier à se mobiliser sur diverses questions internationales, comme le changement climatique, les droits de l'homme, la corruption ou la pauvreté » (Wikipedia-fr).

[2] Un flashmob est une mobilisation éclair. C’est une forme de rassemblement de personnes dans un lieu public pour y effectuer des actions convenues d’avance.

[3] Le slacktivisme est un mot valise comprenant le mot « slacker » qui signifie « fainéant » et « activisme », il s’agit d’une forme de cyberactivisme souvent moquée parce qu’elle n’exige pas trop d’efforts.

[4] Seito Boei : ensemble de techniques d’auto-défense verbales et physiques élaborées dans une optique féministe.

[5] On entend par « différent » un groupe auto-modéré, non-mixte à l’exception d’une personne transsexuelle et d’un escort boy pour femmes, avec une grande diversité  d’opinions et une réelle liberté de parole.

[6] HoaxBuster est un site Web créé dans le but de limiter la propagation des canulars informatiques (appelés « hoax » en anglais) et des fausses rumeurs circulant sur Internet.

[7] Mot-clé utilisé sur Twitter pour définir une thématique dans laquelle inscrire un message.

[8] Pour plus d’infos sur la « slutwalk », nous vous invitons à lire notre texte sur le sujet : http://www.cvfe.be/sites/default/files/doc/ep2011-15-ginger-slutwalks-synth.pdf

[9] Un troll est une personne qui vient sur page internet pour provoquer, semer la zizanie. Il-elle évite le débat de fond et a fréquemment recours à des sophismes.

[10] Page que vous pourrez trouver en cliquer sur ce lien : https://www.facebook.com/groups/183031915220136/

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