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Publications
en Éducation Permanente

Une expérience d’accompagnement individuel d’enfants au CVFE

Depuis deux ans, une expérience d’accompagnement individuel d’enfants hébergés au refuge du CVFE est menée par un intervenant psychosocial. Tirant le bilan d’un certain nombre d’accompagnements, cet intervenant décrit ici le projet initialement formulé par lui et la manière dont l’expérience pratique l’a éclairé et modifié.

« Dès le départ nous savions qu’il faudrait pas mal de saisons, à la fois pour la terre et nos esprits, pour passer à l’agriculture sauvage. La transition est devenue un processus permanent ». Larry Korn dans La Révolution d’un seul brin de paille, de Masanobu Kukuoka.

Contexte et posture d'écriture

Au sein du Refuge[1], Le 9 est la structure dédiée à l’accueil des enfants de plus de 3 ans durant les temps extra-scolaires (16h30 - 18h30).

Cette structure est pensée autour de la prise en charge de groupes d’enfants ; généralement un groupe de 3 à 10 enfants pour deux accompagnants. Si les accompagnants le décident ou si une situation l’impose, on s’organise en réunion d'équipe pour permettre le détachement d’un intervenant vers un enfant en particulier. On travaille ainsi de manière individuelle au sein du groupe. Parfois on s'organise dans l'instant, car il est nécessaire qu'un intervenant éloigne le groupe d'un enfant en difficulté[2]. Et ce afin d'aider l'enfant, au dehors du groupe, à le rejoindre plus sereinement. Ces configurations offrent des interventions individuelles ponctuelles, contingentes, sans fonctionnement autonome.

En octobre 2012, dans une logique d'élargissement des services offerts aux enfants hébergés, il m'a été demandé de formaliser et de construire un dispositif autonome d’accompagnement individuel. Formaliser – c'est-à-dire écrire, ce qui, à ce moment, prenait forme lorsque je pensais « dispositif d'accompagnement individuel pour enfants hébergés au Refuge» ; et construire – c’est-à-dire mettre en œuvre, pour offrir des possibilités au réel de donner un corps  au dispositif.

Depuis octobre 2012 j'expérimente ce que j'ai écrit. Dans la mesure du possible, avec confiance et honnêteté. J'entends par là que je ne laisse pas le raz-de-marée de l'expérience ensevelir d'un seul coup ce qui, au moment de l'écriture, me semblait cohérent, intéressant ou juste. De même, je ne passe pas mon temps à simplifier le réel pour le faire entrer dans le cadre écrit. Si ça déborde, c’est tant mieux ; il sera toujours temps de rafistoler le cadre.

Aujourd’hui, en novembre 2014, le département d’Éducation Permanente me demande d’écrire un texte d’analyse sur les accompagnements individuels tels que je les pratique. Il me semble pertinent d’adopter la posture suivante : fertiliser par l’expérience le texte écrit il y a deux ans. Texte qui fit germer ce qui aujourd'hui lui sert d'engrais.

Semis de définition

Un accompagnement individuel est un temps hebdomadaire d’activité où un intervenant  propose à une famille de passer du temps avec un enfant ou une fratrie (ou une partie de fratrie).

Un accompagnement individuel induit un suivi (récits réguliers des moments pour l’intervenant, présences régulières pour l’enfant), un rituel de mise en place (proposition et discussion au sein de l’équipe, proposition et discussion avec l’enfant et la maman) et un engagement d’exclusivité accordé à un enfant ou à une fratrie (quoi qu’il arrive ce temps ne servira pas à prendre en charge d’autres enfants).

La durée de l’accompagnement est toujours limitée dans le temps. Elle n'est pas définie à l'avance, mais chacun sait que ces moments auront une fin. La durée de l’accompagnement dépend de plusieurs facteurs : celui qui prime sur les autres, le sens ; puis viennent, la volonté des enfants et de l’intervenant à poursuivre, le temps d’hébergement restant, les contingences organisationnelles.

Le contenu des temps d’accompagnement est libre. Libre à l’intervenant d’inventer, de proposer, de co-construire, de suivre une proposition d’enfant, de ne rien faire.

Un accompagnement individuel exige de l'enfant un choix : s’il s’engage, il ne pourra plus participer, le jour de l’accompagnement, au temps de groupe offert par l'accueil extra-scolaire.

Un accompagnement individuel fait partie d’un réseau d’interventions que l’ensemble des équipes proposent. Ce temps n’est pas isolé, même s’il est, de par sa nature, distinct et singulier des autres moments.

Croissance d’une pratique

Se dessaisir

On pourrait penser le dessaisissement du contexte institutionnel, de ce qui fait se rencontrer un adulte intervenant et un enfant hébergé, comme l’une des postures possible de cet adulte rencontrant cet enfant. On pourrait tout aussi bien penser le dessaisissement des objectifs pédagogiques, thérapeutiques ou psycho-sociaux comme un préambule à rejoindre l'enfant accompagné là où il se trouve en tant qu’enfant, ici et maintenant.

Quoi qu'il en soit, « se dessaisir » est un acte, ce n’est pas l’inaction, là où « saisir » serait l’action. « Se dessaisir » c’est, pour prendre une métaphore d’artisan, libérer sa main d’un outil pour se laisser le temps de choisir l’outil suivant, ou bien pour se donner la confiance de construire un outil adéquat, ou encore pour sentir qu'il n'y a plus à prendre d’outil du tout. « Se dessaisir », c'est s'offrir le luxe de goûter une respiration.

On peut rapporter plusieurs techniques développées à partir de cette notion de dessaisissement, utilisables par l’intervenant dans le cadre d’accompagnements individuels:

  • Connaître les objectifs d’intervention établis en réunion d’équipe et mis en place dans les autres temps d’accompagnement. Maîtriser ce qui est mis en place pour l’enfant par l’équipe pour ne pas venir faire doublon, pour travailler à un détail ou pour créer un contrepoint.
  • Établir le portrait que l’équipe fait de l’enfant. Intégrer cette image pour, dans le temps de l’accompagnement, observer combien et comment l’enfant dérive de cette image. Ramener ces observations en équipe.
  • Ne pas vouloir savoir ce que pense l’enfant, ce qu’il vit exactement ; car la volonté n’y suffirait pas, et que ferait-on de tout ce savoir ? « Pas d’histoire, pas de cas. », disait Fernand Deligny à propos des enfants autistes qu’ils accueillaient dans le réseau d’aires des Cévennes.
  • Recentrer l’observation sur « comment ce qui nous lie dans l’accompagnement est investi par l’enfant ».
  • Ne pas se figer sur la volonté de connaître le vécu traumatique, pour permettre à l’enfant, par capillarité (dans l’idée du processus vicariant), d’être capable de se détacher de son vécu traumatique. Pour l’instant, on constate qu’à s’éloigner d’une volonté de savoir, on permet à l’enfant de revenir sur des situations douloureuses par détours, peut-être plus négligemment, avec moins d’urgence, peut-être aussi avec moins de conscience, moins de précision, mais avec une parole qui le déborde moins, qui l’effraie moins.
  • Se déplacer d’un sur-investissement du lien intervenant/enfant, pour parier sur tout ce qui aide. Par exemple, on peut se dessaisir de la position de celui qui écoute, pour pendre la position de celui qui marche. Car l’enfant dépose parfois sa parole à une montée herbeuse, à un train qui file, à une odeur de chèvre, à un angle de rue. Ne plus être celui qui écoute pour devenir celui qui garantit que quelque chose vient d’être dit.
  • Faire repère sans trop solliciter.

Agir avec un objectif minimal

Si « se dessaisir » ouvre un champ de possibles dans les postures d'intervenant, dans les relations intervenant/enfant hébergé, ce champ n'est fertile qu’à condition de maintenir l'intervenant dans le rôle de « celui qui prend l'initiative »[3] sur les contextes potentiellement aidant pour l'enfant. La responsabilité de la mise en place d’un accompagnement individuel est collective, portée par l’ensemble d’une équipe. L’intervenant est responsable de l’accompagnement (posture, contenu, objectif, durée…), ce qui n’exclut pas l’inclusion de l’enfant dans la construction des moments. On évite ainsi la confusion des rôles : l’adulte guide, cadre, sécurise, l’enfant cherche, teste, expérimente.

J'entends par objectif minimal, un objectif qui se formule en lien étroit avec l'agir, et moins avec le penser. « Aller à la bibliothèque », « Prendre des photos du quartier », « Aller jouer ensemble, ton frère, toi et moi », « Aller jongler », « Aller à la piscine ».

De tels objectifs possèdent plusieurs intérêts. Un, tout le monde comprend ce vers quoi l’accompagnement tend. Deux, leur simplicité se transforme en étendue (beaucoup de choses peuvent se passer, rien que sur le chemin de la piscine). Trois, à s'y tenir, ils deviennent incroyablement solide. La transmission à tous (enfant, mère, équipe) de l'objectif des moments, active la co-construction, la transparence et l’ancrage. La simplicité, et l’étendue qu’elle devient, place l’objectif en horizon, dans le sens où l’horizon, toujours présent, n’est pas le lieu vers lequel le marcheur tourne constamment son regard ; son regard il le réserve aux paysages qu’il découvre. La solidité est utile dans les moments de tempêtes.

Minimaliser l'objectif, c'est tenter d'en faire un allier non aliénant.

Souhaiter des effets

Le contrepoint de l’objectif minimal, c’est l’effet souhaité. L’effet souhaité appartient à l’intervenant, à l’institution. L’effet souhaité peut – mais peut-être ne pourra jamais – devenir performatif. Minimaliser l’objectif est un exercice de tenue, de maintien. Souhaiter des effets est un exercice de relâche, de détente.

On pourrait souhaiter les effets suivants (liste non exhaustive, sans ordre de priorité) :

  • Construction d’un climat de confiance et de proximité avec un adulte bienveillant.
  • Exploration – dé-couverte - des impacts d'un vécu de violences conjugales sur l'intériorité de l'enfant (et sur les modes de déploiement de cet intériorité dans le monde).
  • Stimulation, activation, valorisation des potentiels, des compétences de l'enfant en sommeil, dans l'ombre, clandestines.
  • Accompagnement de l'enfant vers une articulation visible au dehors de soi de ses savoir-faire, de ses savoir-être, de ses désirs (par lui-même, par l'intervenant, par l'autre, par les membres de sa famille).
  • Reconnaissance, expression et maîtrise du plaisir à dire, faire ou vivre ce qui se dit, se fait ou se vit.
  • Accession à une parole entendue, reconnue.
  • Ressenti des bénéfices de l’accompagnement individuel d’enfant par l’ensemble du groupe dont l’enfant accompagné fait partie à d’autres moments.
  • Apprentissage de nouvelles compétences.

Produire, tracer[4]

Il est pour moi fondamental que le temps de l’accompagnement ne s’évanouisse pas à sa fin, qu’il perdure. C’est la raison pour laquelle nous utilisons, avec les compétences dont nous disposons (intervenant et enfant), des médias non éphémères : peinture, écriture, vidéo, bricolage, photo… Autant de moyens qui nous accompagnent, qui parfois prennent une place centrale, une place de liant, mais qui souvent sont dans l’ombre de ce qui se joue, à quelques pas du lieu, pour en fin de compte dire : « ça a été ».

Autre moyen pour moi, accompagnant, de conjurer le temps qui efface, autre moyen d’externaliser les moments vécus : le récit. Je considère un moment d’accompagnement individuel véritablement clos, une fois que j’en ai posé le récit sur l’écran. Taper sur le clavier pour revenir sur, pour relire ce que j’ai vécu avec l’enfant, pour conserver ce qui s’est imprimé sur la plaque photosensible de ma mémoire, pour ainsi me laisser m’éloigner, poursuivre, pour partager aussi, transmettre, montrer aux collègues. Pour compiler les ressentis, les hypothèses, les évènements, pour ne pas recommencer chaque semaine à zéro, pour faire de fragments une continuité. La forme que prennent ces récits est libre. La seule contrainte que je m’impose est de les écrire avant la rencontre suivante ; dans l’idéal, écrire dans les minutes qui suivent le temps d’accompagnement. À chaque moment, un récit. Le temps file toujours mais raccroche dans l’écriture, y laisse des traces, les récits s’accumulent et forment un journal.

Je prends un grand plaisir, une fois l’accompagnement terminé, à venir découper, coller, agrafer, nouer les récits que j’ai écrit au fil des moments, avec les productions des enfants. Mise en commun, mise à niveau, sceau de coopération, traces d’agir bâties ensemble.


Pour citer cette analyse :

Pierre-Nicolas Bourcier, "Une expérience d’accompagnement individuel d’enfants au CVFE", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2014. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/231-une-experience-d-accompagnement-individuel-d-enfants-au-cvfe

Contact :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 0471 60 29 70

Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] Le Refuge est une structure d’hébergement fondé par le CVFE (Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion) pour femmes et enfants exposés aux violences conjugales.

[2] C'est volontairement que je formule dans ce sens (sortir le groupe de l’enfant et non l’enfant du groupe), afin de traduire notre volonté de ne pas toujours associer l'éloignement d'un seul à la responsabilité d'un seul, à l'échec d'un seul. Le groupe est parfois nocif, ou tout au moins complexe à gérer, pour un enfant en fragilité relationnelle. Et bien souvent il nous apparaît que, pour un enfant, c'est l'acte d'éloigner le groupe (et la mise en mot de l’acte et la conscientisation de l'acte) qui est bénéfique, ou au minimum moins décourageante, que celui d'éloigner l'enfant. Même si pratiquement, c'est à l'enfant que nous proposons le déplacement vers un autre espace, et non au groupe.

[3] Cf. « La fonction soignante et éducative » (paragraphe « Agir et non réagir »), dans Meynckens-Fourez (Muriel), Vander Borght (Christine ) et Kinoo (Philippe) (coord.), Éduquer et soigner en équipe. Manuel de pratiques institutionnelles, Bruxelles, De Boeck, sd.

[4] Je conseille ici la lecture de Fernand Deligny, entre autres textes : Traces d’être et bâtisses d’ombres, in Deligny (Fernand), Œuvres, édition établie par Sandra Alvarez de Toledo, Paris, Editions L’arachnéen, 2007.

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