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en Éducation Permanente

L’aide et le contrôle lors d’entretiens psycho-sociaux en ambulatoire : levier(s) de changement ou argument(s) de non-changement ?

Posant la question du type de positionnement le plus adapté pour un intervenant psychosocial dans le cadre d’entretiens en ambulatoire auprès des victimes de violences conjugales, cet article étudie l’hypothèse selon laquelle les intervenants peuvent, en fonction de leur manière de s’impliquer auprès des victimes, constituer, soit un levier de changement (modification, voire arrêt du processus de violences), soit un argument de non-changement (maintien de la dynamique actuelle).

 

Dans un article précédent, nous écrivions que dans l’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales et familiales en maison d’hébergement, « les femmes fixent leur(s) objectif(s) et nous nous sommes garant-e-s du cadre et des moyens mis en œuvre pour atteindre le(s) objectif(s) défini(s) »[1]. Nous indiquions plus loin que l’intervenant se doit de s’impliquer activement et de prendre position et que, dans le cas contraire (c’est-à-dire en conservant une prétendue « neutralité »), le risque serait de blanchir involontairement l’auteur et de le renforcer dans ses comportements. Nous en arrivions à proposer qu’un positionnement éthique minimal pourrait prendre la forme d’un « rappel de la loi et du caractère inacceptable des violences » (Ibidem, p. 5).

Une distinction a ainsi été proposée entre la finalité, visée par les intervenantes, consistant en « l’arrêt des violences, de la domination et de l’emprise, et de l’inégalité de pouvoir dans le couple » (Ibidem, p. 5), et les objectifs opérationnels permettant de tendre vers cette finalité, qui eux, seront définis par la femme.

Mais que se passe-t-il lorsque ces femmes, qui ont évolué dans un système conjugal marqué par les violences et l’inégalité de pouvoir au sein du couple, refusent de nous rejoindre dans la recherche de cette finalité ? En d’autres termes, comment, en tant qu’intervenant, se positionner lorsqu’une femme, malgré le travail de conscientisation et de dévictimisation progressivement mis en place, décide de reprendre la relation conjugale sans y avoir négocié de changement ?

Nous indiquions dans l’article précédemment cité que « pour que le changement opère, la femme doit injecter du contenu et se mobiliser ». Or, ayant vécu pendant parfois longtemps dans une relation d’emprise, il n’est pas forcément évident que cette mobilisation advienne. De l’expérience que nous en avons, il apparaît en effet que les femmes victimes de violences conjugales et familiales, de par leur vécu spécifique, se mobiliseront souvent de façon intermittente, incertaine, floue. Elles feront généralement preuve d’ambivalence dans leurs tentatives de remettre en question la dynamique conjugale.

Nous croyons qu’une des raisons principales qui amèneront les femmes victimes de violences conjugales et familiales à se mobiliser ou à ne pas se mobiliser suffisamment tient à l’orientation qui sera donnée à nos positionnements d’intervenants et à nos interventions. En cela, cette hypothèse se veut à la fois optimiste (puisqu’elle diminue notre sentiment d’impuissance en concevant l’intervenant comme ayant une prise sur le changement de la dynamique conjugale) et en même temps critique (puisqu’elle nous responsabilise en bonne partie et donc nous demande une remise en question et une amélioration constantes de nos pratiques d’interventions).

Dans cet article, nous tenterons d’apporter quelques éclaircissements sur le positionnement de l’intervenant dans l’accompagnement des victimes de violences conjugales et familiales. Contrairement aux articles précédents qui se focalisaient sur le contexte de maison d’hébergement, nous nous orienterons cette fois-ci sur le contexte des entretiens psycho-sociaux en ambulatoire, c’est-à-dire « extra-muros », pour traiter de cette question fondamentale de l’intervention : l’aide versus le contrôle : levier(s) de changement ou argument(s) de non-changement ?

Du rôle déterminant du tiers

Lorsqu’elles viennent nous trouver, les femmes victimes[2] de violences conjugales et familiales sont parfois, depuis de nombreuses années, emprisonnées dans une relation conjugale dans laquelle elles ont appris des manières tout à fait particulières de fonctionner, en relation avec leur conjoint violent : elles ont appris à se centrer sur les besoins d’autrui avant de se centrer sur leurs propres besoins (voire même à ne plus s’y centrer du tout), à adopter certaines attitudes de soumission visant à limiter les passages à l’acte violents, elles ont appris à dissimuler et mentir pour se protéger ou protéger leurs enfants, à s’habituer à vivre au quotidien dans un climat de tension et d’angoisse, à prendre la responsabilité des comportements violents de leur conjoint, à le soutenir et à compenser ou justifier ses attitudes de façon à maintenir l’équilibre familial, etc.

En définitive, plus elles se renforçaient dans leurs apprentissages, plus cela contribuait, malheureusement et involontairement, à les maintenir dans la dynamique conjugale et familiale. En effet, si leurs tentatives visaient, de façon bien légitime, à limiter les violences, elles avaient malheureusement également pour effet de participer au maintien d’une sorte d’équilibre précaire dans la relation[3].

Prenons un exemple concret : l’auteur agit des violences de façon à maintenir sa position de pouvoir dans le couple. De façon à limiter le risque de récidive, la victime peut adopter un positionnement de soumission, face à l’auteur, et peut aller jusqu’à, sous la pression de l’auteur, prendre la responsabilité des comportements de celui-ci. L’auteur se voit ainsi légitimé dans sa position et dans ses comportements, ce qui contribue à favoriser l’utilisation ultérieure de ces mêmes comportements que la victime cherchait justement à éviter. Reprenant la citation bien connue de Jean-Baptiste Alphonse Karr dans sa revue Les Guêpes (janvier 1849), l’on peut dire que dans cette dynamique, « plus ça change, plus c’est la même chose ».

Lorsqu’une femme victime de violences fait appel à nous, la relation conjugale vient souvent de passer par un temps de crise. Les tensions et les violences se sont accrues de façon excessive aux yeux de cette femme, dépassant un seuil qu’elle refuse, pour un temps du moins, d’accepter et de légitimer. Dans ce temps de crise, le couple se situe comme sur l’arrête d’une montagne : en fonction de ce qui sera mis en place par la femme, par ses enfants, par son compagnon, par les proches et le réseau amical et familial, ainsi que par les professionnels, la dynamique peut soit « tomber » d’un côté de la montagne (retour à « l’équilibre »), soit de l’autre côté (changement de la dynamique familiale)[4].

Micheline Christen, Charles Heim et al.[5] résument leur positionnement (que je qualifierais de « systémique »), en ce qui concerne les situations de violences conjugales, de la façon suivante :

  • L’auteur des violences est perçu comme celui qui commet l’acte ;
  • Si du point de vue de l’interaction il y a bien deux acteurs, du point de vue du Code pénal il n’y a qu’un responsable de l’acte violent ;
  • Et, comme l’écrit Micheline Christen (1997) citant Jane Lovell, « si le maître et l’esclave sont interdépendants, ils ne sont pas égaux» ;
  • Les comportements de violence peuvent être triés comme des éléments appartenant simultanément à deux niveaux logiques différents : les comportements interactifs d’une part, les délits ou les crimes d’autre part ;
  • « L’auteur de violences est responsable de son comportement quel que soit le comportement de la victime. L’auteur et la victime ne sont pas sur un pied d’égalité. La victime n’est pas responsable des coups qu’elle reçoit ;
  • L’auteur et la victime sont coresponsables du maintien de l’interaction dans laquelle les comportements de violence deviennent redondants et structurent cette relation ;
  • Pour qu’une situation de violence se modifie, que ce soit pour durer en s’amplifiant ou pour s’arrêter, le rôle du « tiers », quel qu’il soit, est déterminant ».

Parmi ces tiers figurent notamment les enfants du couple (conjugal et parental). Ainsi, pour reprendre les propos de Vasselier-Novelli et Heim, dans les situations de violences conjugales, « la ‘danse relationnelle’ ne se conjugue pas à deux – l’auteur et la victime – mais à trois, quatre ou plus, c’est-à-dire avec les enfants »[6].

Au-delà des enfants, ces tiers incluent aussi les proches, et les professionnels. Dès lors, quelles peuvent être les influences du positionnement de l’intervenant et de ses interventions concrètes sur le processus de maintien (voire l’amplification) ou, au contraire, l’arrêt du processus de violences conjugales ? Pour tenter de répondre à cette question, nous reprendrons certaines propositions relatées dans l’article précédent[7], et les développerons ici de façon plus poussée.

Notre postulat de départ que les intervenants peuvent constituer, dans les situations de violences conjugales, des moteurs qui, en fonction de la façon dont ils s’impliqueront directement ou indirectement dans la situation, pourront tantôt constituer un levier de changement (modification voire arrêt du processus de violences, changement de type 2[8]), tantôt constituer un argument de non-changement (maintien de la dynamique actuelle, changement de type 1[9]).

Une tendance à retourner à l’homéostasie

Nous l’indiquions précédemment, avant de venir nous trouver, les femmes victimes de violences conjugales et familiales ont été parfois de nombreuses années emprisonnées dans une relation conjugale dans laquelle elles ont appris des manières particulières de fonctionner, en relation avec leur conjoint violent. Ces modes de fonctionnement nous semblent constituer des exemples frappants ce que l’on appelle en approche systémique des « tentatives de solution inopérantes »[10]. En effet, ces attitudes et comportements visent à résoudre le problème (ou du moins à en limiter l’ampleur), mais le résultat obtenu par ces tentatives se révèle inverse aux attentes : la dynamique perdure « à l’identique », et le problème également. Comble du paradoxe, il arrivera même parfois que le problème aille jusqu’à s’amplifier suite à la mise en place de ces tentatives ![11]

Or, lorsqu’elles viennent nous rencontrer lors d’une permanence sociale en ambulatoire, les femmes ne sont généralement pas « au bout » de leurs tentatives de solution. En effet, si le temps de crise qui a souvent déclenché la demande de rendez-vous peut a priori être propice à concevoir la rupture du couple de façon rapide et radicale, la vision du monde de ces femmes va ensuite souvent évoluer, passé la crise, pour revenir à un positionnement plus ambivalent : éloignées de leur conjoint dans ce temps d’entretien, elles peuvent rapidement se remettre à espérer une évolution favorable qui passerait par une remise en question, par l’auteur, de son mode de fonctionnement et une prise de conscience de sa responsabilité dans ses comportements violents.

En d’autres termes, les femmes peuvent nous faire part de leur espoir que « leur mari change », voire même peuvent nous formuler la demande de les aider à « faire prendre conscience à leur mari qu’il doit changer ». Nous ne nous attarderons pas sur la teneur paradoxale d’une telle demande. L’important pour notre propos étant que, suivant cette logique, les femmes qui viennent nous consulter peuvent très vite, passé ce temps de crise durant lequel elles auront peut-être pris distance avec leurs conjoints, reprendre contact avec eux, ou répondre à leurs appels et se montrer désarçonnées par le ton de leur voix, les mots qu’ils emploient et leurs attitudes parfois très contradictoires pouvant aller de la promesse de changement aux insultes et aux menaces, en passant par des déclarations d’amour enflammées, des propos culpabilisants, etc.

La force homéostatique du couple, c'est-à-dire la tendance, généralement involontaire et très spontanée, à retourner à l’équilibre antérieur du système, bien qu’il soit insatisfaisant et souffrant pour les deux personnes qui en sont membres, est souvent particulièrement puissante dans les situations de violences conjugales. Micheline Christen, Charles Heim et al. expliquent ainsi qu’« Il existe une force supérieure à celle de la violence de l’agresseur ou à celle de la souffrance de la victime, c’est la force de la relation entre agresseur et victime ; ou, de façon plus globale encore, c’est la force de la relation du couple »[12].

Les apprentissages relationnels réalisés ou renforcés au sein de la relation de couple sont donc encore bien actifs une fois les femmes accueillies lors d’une permanence en ambulatoire. Et ceux-ci peuvent les amener, même lorsque ces femmes sont éloignées physiquement de l’auteur des violences (et a fortiori si ce n’est pas le cas), à continuer à omettre leurs propres besoins, mais aussi à adopter des attitudes de soumission vis-à-vis des intervenants, à mentir ou à cacher qu’elles maintiennent un contact avec leur conjoint, à susciter un climat de tension, à justifier certaines prises de position visant à permettre le rétablissement d’un « équilibre » dans la relation conjugale, etc.

Notre expérience nous montre en effet que de nombreuses personnes (victimes de violences ou pas, d’ailleurs) peuvent avoir tendance à adopter inlassablement les mêmes démarches, même si celles-ci sont dysfonctionnelles et sources de souffrances, plutôt que d’en changer. De nombreuses raisons (complémentaires les unes aux autres) pourraient être évoquées pour contribuer à expliquer de telles attitudes.

Sans être exhaustifs, nous pourrions notamment citer :

  • L’habitude, qui va de pair avec la peur de l’inconnu (« La situation actuelle est souffrante, oui, mais je ne sais pas ce qui m’attend si je choisis d’en changer. Ce sera peut-être mieux, mais ça peut aussi être bien pire !»),
  • les pressions du conjoint et/ou de l’entourage qui encouragent au non-changement (« Si tu pars, tu seras une femme seule, qui aura échoué dans sa vie de famille, tu seras rejetée par ta famille et la société»),
  • la surévaluation des pertes et/ou la sous-évaluation des gains lié(e)s au changement (« Si je pars, je perdrai mes enfants, ma maison, tout ce que j’ai construit depuis toutes ces années. A côté de ces pertes, supporter la violence n’est finalement pas si terrible»).

En cela, nos interventions, en tant que professionnels, peuvent parfois, bien involontairement, contribuer à favoriser un retour à l’équilibre dysfonctionnel alors même que nous chercherions au contraire à remettre en question la dynamique conjugale et familiale.

L’intervention risque de participer au maintien de la dynamique du couple

Nous disions dans l’article cité précédemment que dans des interventions dites « de types féministes », « les connaissances et savoirs-faires sont mutuellement partagé-e-s entre l’intervenant-e et la femme »[13]. Cette démarche favorise une intervention honnête, respectueuse, et une répartition égalitaire du pouvoir entre l’intervenant-e et la femme. Elle prend sa source dans la croyance fort répandue en psychologie selon laquelle « le changement passe nécessairement par la conscientisation ». Cependant, si les femmes que nous rencontrons sont prises dans des tentatives de solution inopérantes, n’existe-t-il pas un risque qu’elles « utilisent » ce qui leur sera transmis pour résister au changement plutôt que pour le faire advenir ?

Il est par exemple étonnant de voir avec quelle vigueur certaines femmes peuvent parfois argumenter, lorsque l’on discute avec elles des comportements inacceptables de leurs conjoints, de façon à tenter de nous convaincre (et de se convaincre elles-mêmes par la même occasion) que ceux-ci « ne sont pas si graves ». Du point de vue d’un intervenant adoptant une approche systémique interactionnelle, plus l’intervenant s’emploiera à expliciter le caractère inacceptable des violences à une femme victime de violences qui n’est pas prête à l’entendre, plus celle-ci aura tendance à les nuancer, les banaliser, les justifier. En tombant dans ce type de « bras de fer », l’intervenant risque de favoriser ce qu’il chercherait plutôt à éviter. Il se trouve alors lui-même pris dans des tentatives de solution inopérantes de l’ordre de « Je dois à tout prix lui faire prendre conscience que c’est inacceptable ». Et plus il essaye, moins ça fonctionne !

Un postulat complémentaire sous-tendant des interventions de types féministes est qu’il est du devoir de l’intervenant de quitter une « prétendue position de neutralité » pour s’impliquer dans la relation en explicitant des valeurs et opinions quant au caractère inacceptable des violences et à l’importance de rechercher à s’inscrire dans des rapports égalitaires. Si cette démarche part d’une intention louable, elle peut rapidement tomber dans l’écueil décrit précédemment, si elle se confronte de façon trop directe aux valeurs et opinions de la femme : plus l’intervenant cherchera à convaincre, moins il y parviendra.

Parfois, celle-ci n’en dira rien à l’intervenant sur le moment, mais fermera ses oreilles au discours de celui-ci. Se montrer trop confrontant risque ainsi d’affecter le lien de confiance qui s’établit doucement et de faire fuir la personne, souvent effrayée de ce qui pourrait être fait de la parole qu’elle s’autorise, parfois pour la première fois. Elles peuvent ainsi tomber dans une démarche de « soumission de façade » et de dissimulation de leurs pensées, comportements et ressentis. Ce faisant, elles risquent ainsi de renforcer les attitudes et comportements appris dans leur relation de couple, favorisant par là même le maintien de leurs modes de fonctionnement et donc, à terme, de la dynamique conjugale. En conséquence, non seulement l’objectif n’est pas atteint, mais l’intervenant, par son attitude, l’a encore un peu plus éloigné de la femme qu’il ne l’était jusqu’alors.

Parfaitement en accord avec le postulat selon lequel « la neutralité est un leurre dans l’intervention »[14], nous pensons cependant qu’expliciter dès le début de l’intervention des valeurs et opinions personnelles en tant qu’intervenant risque d’être préjudiciable au bon déroulement de celle-ci. Certaines démarches nous semblent indispensables à respecter avant de tenter d’influencer la femme, et ce quelques soient les objectifs fixés, la méthode et l’approche employées pour les atteindre. Dans la suite de cet article, nous tenterons de détailler différentes « étapes »[15] d’un processus d’intervention en violences conjugales.

Première étape : accueillir et rejoindre la femme dans ses représentations

Dans l’article précédent[16], nous indiquions que dans une intervention type « thérapie brève », que nous pourrions également nommer « systémique interactionnelle » ou « intervention stratégique brève », l’intervenant se montrera de prime abord à l’écoute des représentations de la femme relatives à sa situation problème (sa « vision du monde ») et ne cherchera pas à la convaincre des siennes propres. L’écouter dans l’expression de son vécu, sans jugement, sans le connoter ou tenter de le nuancer, sans proposer de solutions, sans intrusion, nous semble un préalable indispensable. Suivre le fil que la personne tisse doucement et lentement devant elle, entre elle et nous, sans le critiquer ou même le nuancer.

Bien entendu, il s’agit, au-delà de l’écoute, d’aller plus loin. Et cela peut prendre la forme d’un questionnement. Celui-ci sera le plus ouvert et large possible. Ainsi posées, les questions viseront à clarifier les zones d’ombre et de flou, de façon à s’assurer d’avoir bien capté les difficultés exposées, la vision que la femme a de celles-ci, les ressources dont elle dispose, ses attentes par rapport à notre intervention, etc. De cette façon, nous donnerons le sentiment à la femme que nous rencontrons d’être entendue, comprise, validée, reconnue dans son vécu, dans ses représentations et ses ressentis. En cela, de façon complémentaire à l’écoute pure et simple d’un vécu, nous favorisons, chez la femme victime, un premier apaisement, aussi minime soit-il.

Par ailleurs, nous augmentons nos « chances » que les propositions qui seraient éventuellement formulées à la fin de l’entretien seront les plus pertinentes et adaptées spécifiquement à la situation de la personne et à sa façon de percevoir celle-ci. Afin de favoriser la création d’un lien de confiance, il peut être intéressant de rappeler à la personne, régulièrement, de façon transparente, les raisons pour lesquelles nous lui posons telles ou telles questions, ainsi que le fait qu’elle n’est pas forcée de répondre à une question si elle juge celle-ci déplacée ou intrusive.

La femme est ainsi, de façon explicite, invitée à nous donner des retours sur la façon dont elle vit la création de cette nouvelle relation qui s’instaure lentement. De tels feedback verbaux ou non-verbaux de la part de la femme sont omniprésents (hochement de tête, mimiques, posture de retrait ou d’invitation, croisement de bras ou de jambes, etc.). Ils doivent être captés au mieux et au plus vite par l’intervenant, de façon à s’ajuster au plus près du rythme de la femme.

Dans cette phase de l’entretien, le positionnement de l’intervenant se veut le plus « bas » possible, c’est-à-dire que c’est à la femme d’injecter le contenu, constitué de faits, de croyances, d’hypothèses, de ressentis, de comportements, de pensées, d’envies, d’attentes, etc. Par son questionnement, l’intervenant clarifie au mieux tous ces éléments. Il s’agit donc d’une étape de mise en lumière, non pas uniquement des événements objectifs, mais également et surtout de la façon dont la femme s’est représenté ces dits événements.

Au sein de cette même étape, un second niveau consiste, au-delà du recueil d’informations, à « s’affilier » à la femme en allant la « rejoindre » dans sa façon d’exprimer son vécu. Le message qui lui est envoyé est « qu’elle a certainement de bonnes raisons de penser ce qu’elle pense, d’avoir agi comme elle a agi, etc. ». Il s’agit de relever ici les compétences de la femme, de connoter positivement ses décisions et ses actions, de façon à lui donner le sentiment d’être entendue, reconnue, comprise.

Ainsi, pour Minuchin[17], l’affiliation est un constituant essentiel de l’intervention. Une relation va se tisser au cours de la rencontre entre l’intervenant et la femme malgré leurs divergences initiales (possibles) concernant la représentation du problème pour lequel elle vient trouver l’intervenant. Nous avons deux systèmes en présence, qui envisagent chacun différemment le problème et la façon d’y remédier. Pour créer une intervention, il faut dans un premier temps que ces deux systèmes puissent se joindre, malgré leur divergence de point de vue. Ce processus de joining ou affiliation correspond à une étape indispensable de la rencontre durant laquelle les deux personnes en présence vont se familiariser l’une à l’autre, réciproquement. Si l’affiliation ne peut avoir lieu, le système « intervenant-femme » ne peut s’établir et les étapes suivantes (émergence d’une demande, restructuration ou recadrage, propositions concrètes) ne pourront se faire. En conséquence, tout effort pour atteindre les objectifs de l’intervention échouera.

Concrètement, dans un premier temps, l’intervenant va repérer et accepter les règles du système de la femme et gagner ainsi « sa place » auprès d’elle. En connotant positivement, il peut aussi défendre l’intérêt de ces règles. Se fondant dans son système, il va ainsi progressivement obtenir l’autorisation de restructurer le système familial, ce qu’il fera dans un second temps (Cfr. infra). Cette affiliation peut prendre plus ou moins de temps, en fonction de l’aisance et du charisme de l’intervenant.

Pour constituer le système « intervenant-femme », il faut du temps. Il ne suffit pas de réunir deux systèmes pour voir se constituer un troisième. Cela nécessite l’explicitation, la reconnaissance et l’acceptation du fonctionnement du système de la femme par l’intervenant. Il va ainsi entrer en communication avec lui, partager une vision commune et donc s’unir avec le système pour en former un troisième avec lui. En cela, l’affiliation constitue donc le fondement du cadre d’intervention. Sans celle-ci, la relation ne peut se tisser et la poursuite de l’intervention est rendue impossible.

Deuxième étape : faire émerger une demande

Dans tous les cas, et a fortiori dans le cas où la personne semble, au début de l’entretien, peu ou pas demandeuse de notre intervention, une bonne partie de la rencontre visera, si les éléments élaborés nous permettent d’inférer la présence de violences conjugales et familiales, à faire émerger une demande. Une fois la situation clarifiée, nous inviterons ainsi la personne à se centrer sur elle, et à se poser les questions suivantes : souffre-t-elle de sa situation ? Comment définit-elle le problème ? Est-elle désireuse d’un changement, d’une amélioration, aussi minimes soient-ils, concernant ce problème ? Comment s’est-elle mobilisée jusqu’ici et quels ont été les effets de ses tentatives visant à résoudre le problème ? Serait-elle prête à se mobiliser et à entamer un suivi avec notre service (ou un autre), de façon à cheminer ensemble et, peut-être, à rendre la situation plus satisfaisante pour elle et les autres personnes impliquées ?

Ce n’est que si la personne s’est sentie entendue, comprise, et reconnue dans son vécu et ses perceptions de la situation qu’elle pourra s’autoriser à répondre « oui » à ces différentes questions et que la mise en place d’un suivi pourra être envisagée, dans une réelle collaboration. Viendra alors la question du cadre de l’intervention, en fonction de ce qui constituerait un objectif minimal à l’intervention.

Lorsque la démarche de prise de rendez-vous a été volontaire, la personne est a priori davantage demandeuse d’une aide. La clarification de sa situation sera dès lors tout aussi importante, mais nécessitera sans doute un peu moins de précautions. Généralement, même s’il s’agit d’un premier dévoilement, la personne demandeuse, ayant le souhait d’être entendue et reconnue dans ce qu’elle a traversé, aura tendance à nous donner plus rapidement accès à son vécu, à son histoire, à sa souffrance. Elle se montrera plus désireuse d’un changement et en recherche de solutions.

Néanmoins, à nouveau, il s’agira de maintenir une certaine prudence dans le positionnement de l’intervenant(e). Souvent, les personnes victimes de violences conjugales et familiales, même lorsqu’elles font volontairement un premier pas vers nos services, sont ambivalentes. Il s’agit donc de clarifier avec la personne les différentes alternatives qui se présentent à elle, de même que les risques et avantages de celles-ci, mais sans jamais tenter de la convaincre de l’une de ces alternatives. Un positionnement trop franc lors d’une première rencontre (du style « vous devez absolument porter plainte et quitter votre mari »), à nouveau, risquerait d’effrayer la personne, ce qui ne favoriserait pas la création d’un lien de confiance et donc, la mise en place, éventuellement, d’un second rendez-vous lors duquel une intervention plus suivie pourrait véritablement débuter.

Un changement significatif dans la situation de la femme ne s’établira généralement pas après une seule rencontre. Dès lors, il nous semble généralement préférable de prendre suffisamment de temps pour établir le socle de confiance dans la relation et « mobiliser » la femme pour la mise en place d’un projet d’accompagnement, plutôt que de vouloir à tout prix injecter un recadrage significatif et de risquer alors de « perdre » la personne, si elle n’adhère pas à ce qui est proposé. L’adage selon lequel « Chi va piano va sano » (qui va lentement va sûrement) reflète bien cette logique d’intervention : c’est paradoxalement en prenant suffisamment le temps, en allant suffisamment doucement dans la création de la relation « femme-intervenant », que la mise en place d’un changement significatif et durable pourra s’établir d’autant plus vite, efficacement et… respectueusement.

Troisième étape : s’impliquer en recadrant certains éléments de représentations

Pour autant, il s’agit d’éviter à tout prix que la personne reparte de la rencontre en ayant le sentiment que l’insatisfaction qu’elle ressent est banalisée. Il s’agit de rejoindre la personne dans sa vision des choses, dans son ressenti, dans son parcours, en insistant sur le fait que si elle ressent une insatisfaction dans sa relation conjugale ou familiale, elle a le droit de souhaiter un changement et de ne pas se résigner dans sa souffrance. Le cas échéant, si la personne banalise la dangerosité de son vécu alors que de nombreux éléments mettent en lumière l’augmentation (graduelle) des violences (escalade) et de la dangerosité, il pourra être pertinent de reformuler ce qu’elle exprime comme étant visiblement, sur base de ce qu’elle nous en dit, un processus cyclique et non un phénomène isolé, et de se montrer inquiet(e) pour elle et les autres personnes concernées si la situation devait demeurer inchangée. Dans cette troisième étape, la démarche consiste donc à prendre « appui » sur la vision du monde que la femme a du problème qui l’a amené à venir nous rencontrer ainsi que sur sa demande d’accompagnement pour lui signifier que nous pouvons, en collaboration avec elle, amener un changement dans sa situation.

Concrètement, tout en laissant la responsabilité à la personne de se mobiliser ou non, il s’agit de lui rappeler que de ce qu’elle nous en dit, il apparait que ce qu’elle vit n’est pas satisfaisant pour elle, qu’elle a visiblement tenté à de multiples reprises de remettre la dynamique en question, mais que ses tentatives de solution n’ont pas fonctionné (car elles donnaient lieu à un changement de type 1, c’est-à-dire à un retour à l’« équilibre » antérieur). Vient alors le moment de formuler l’existence de pistes d’actions alternatives, de façon à lui témoigner qu’elle a le pouvoir de remettre la situation en question en adoptant une démarche différente, et que nous pouvons la soutenir dans cette démarche (qui donnerait lieu à un changement de type 2, c’est-à-dire à une remise en question de la dynamique familiale qui résulterait en un nouvel équilibre plus satisfaisant pour elle).

Si les personnes devaient ne pas revenir à un second rendez-vous, pour quelque raison que ce soit (contrôle par le conjoint, ambivalence, etc.), nous estimons que recadrer minimalement leur vécu de cette façon favorisera, dans de nombreuses situations, une première remise en question de la vision qu’elles en ont, permettant sans doute à plus long terme de se mobiliser vers un changement plus satisfaisant pour elles. Si le recadrage a été présenté de façon reconnaissante et valorisante, en respectant leur langage et leur rythme, elles pourront se sentir plus en mesure de faire face, et tentées d’abandonner leurs tentatives habituelles pour se lancer vers de nouvelles démarches. L’expérience nous montre d’ailleurs, à ce sujet, que les personnes qui ne viennent au départ qu’à un premier rendez-vous se représentent souvent quelques mois plus tard en formulant alors une demande d’accompagnement plus mûrie et affirmée.

En définitive, dans les situations de violences conjugales et familiales, la possibilité d’amener un changement important, réellement satisfaisant et sécurisant pour les personnes (victime(s), auteur(e)(s), proches, etc.), demande généralement, du côté des victimes, du temps, des hésitations et des allers-retours, des expériences multiples, des remises en questions, du courage et de la persévérance face aux pressions et à l’insécurité ressenties. Rappelons dès lors que le premier objectif, qui sous-tendra l’ensemble du travail, consistera donc à créer un espace suffisamment sécurisant et une alliance suffisamment grande entre l’intervenant et la femme. A cette fin, lorsque la situation s’y prête, le déroulement de l’entretien sera ponctué de connotations positives et de mises en valeurs des compétences de la femme, de son courage, de reconnaissance de ses difficultés et de sa souffrance. Ce n’est qu’à cette condition que la femme pourra progressivement cheminer vers un vrai changement, et une reprise de pouvoir sur son existence.

Quatrième étape : favoriser une expérience correctrice

Une fois ces différentes étapes franchies (clarification de la « vision du monde » de la femme, s’affilier à elle, faire émerger une demande et recadrer certains éléments), suivant la demande de la personne et ce qui nous a semblé pertinent sur base de son vécu, nous pourrons terminer l’entretien par des propositions très diverses : prendre le temps de réfléchir aux échanges ayant eu lieu durant cet entretien et nous recontacter afin de poursuivre cet échange, fixer une deuxième rencontre pour approfondir les échanges et éventuellement entamer un suivi visant l’objectif que se fixerait la personne (négocier certains changements dans la relation conjugale, quitter son conjoint dans les meilleures conditions, faire face à sa famille, se reconstruire après avoir quitté un conjoint violent, etc.), orienter vers une rencontre avec un(e) collègue juriste, etc. En tous temps et en tous lieux, la personne doit rester maître(sse) de son cheminement et des démarches qu’elle entreprend pour se reconstruire. Un positionnement de l’intervenant(e) du type « Je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi » ne comporterait-il d’ailleurs pas le risque de remplacer les violences vécues par de nouvelles « violences » ?

Si la femme est demandeuse d’une proposition concrète (une sorte de « tâche » ou d’« exercice » à réaliser), l’invitation peut lui être donnée d’expérimenter, sous la forme d’une attention particulière portée à ses ressentis et à ses pensées, de changements d’attitudes et de comportements personnels, en interaction avec son entourage ou son conjoint. Au lieu de se confronter aux croyances, valeurs, normes, etc. de la femme, l’idée qui sous-tend ces propositions est basée sur l’adage de Heinz von Foerster : « Si tu désires voir, apprends à agir »[18].

En d’autres termes, cet auteur considère que pour modifier les représentations d’une personne et donc son vécu par rapport à ce qui fait problème[19], il est parfois plus facile de passer par la modification de ses comportements. Une fois que ceux-ci évoluent, la personne adaptera spontanément ses représentations à sa nouvelle expérience concrète, sans que cela ait nécessité de démarche « conscientisante » plus confrontante de la part de l’intervenant et parfois vouée à l’échec[20].

Cependant, la difficulté, dans les situations de violences conjugales et familiales, est que l’expérimentation peut parfois être rendue difficile si l’auteur des violences est éloigné physiquement. Si celui-ci est absent, la victime a tout le loisir de réinterpréter ses souvenirs datant du temps de la crise de façon à éviter la remise en question de la dynamique conjugale. Si elle se sent limitée ou contrainte dans son contexte de vie actuel (exemple : éloignée de son lieu de vie habituel, en hébergement, chez de la famille ou chez des amis, par exemple) elle pourra en arriver à penser qu’être avec son conjoint n’était finalement « pas si mal », et aucune expérience concrète ne viendra la contredire sur le moment. Ce n’est que lorsqu’elle retournera auprès de lui que sa représentation se confrontera à la réalité. Mais le couple sera alors « reparti pour un tour »[21].

Ainsi, si nous nous basons sur ce qui précède, sur la citation de von Foerster, et, plus largement, sur la démarche utilisée en thérapie stratégique brève, il serait donc souhaitable (voire nécessaire), pour qu’un changement significatif advienne et se maintienne, dans la dynamique conjugale d’un couple affecté par des violences conjugales, que la femme victime passe par l’expérimentation concrète de certains comportements, attitudes ou perceptions en interaction avec son entourage et/ou son conjoint, qui viendront contrecarrer ses croyances et/ou modifier la dynamique conjugale. Malheureusement, dans les situations de violences conjugales et familiales, l’expérimentation, si elle peut parfois avoir lieu, n’est cependant pas sans risque.

En guise de conclusion : un dilemme…mais des perspectives

En raison du niveau de dangerosité propre à cette expérimentation dans les situations de violences conjugales et familiales, la démarche spontanée des intervenant-e-s sera généralement d’intervenir dans le sens d’une « sécurisation » du système familial, et en priorité des enfants, de la femme elle-même, et des intervenants. Si cette démarche comporte évidemment une certaine logique, elle risque malheureusement, à un autre niveau, de permettre au système conjugal de ne pas remettre en question son mode de fonctionnement. En effet, la responsabilité est enlevée à la femme et à ses enfants, ou même à l’auteur, puisque ce sont les intervenants qui prennent la responsabilité de sécuriser la situation. Dans un tel cas de figure, il peut ainsi arriver qu’une femme nous dise en vouloir aux intervenants (ou que son compagnon leur en veut), car elle a pu se sentir jugée et contrôlée. En « protégeant » la famille à court terme, nous aurions ainsi tendance à ne pas l’aider à changer son mode de fonctionnement à plus long terme.

Nous nous trouvons dès lors, en tant qu’intervenant, dans un dilemme éthique, puisque comportant une dimension de dangerosité physique ou psychique :

  • soit la femme ne reprend pas contact avec son conjoint et elle n’a pas l’occasion d’expérimenter des changements perceptuels, d’attitudes et/ou comportementaux qui permettraient à plus long terme soit de remettre en question la dynamique conjugale, soit de modifier ses croyances et, en définitive, de mettre fin à cette relation telle qu’elle l’a connue, mais cela comporte l’avantage, à court terme, de ne pas l’exposer, elle et ses enfants, aux comportements potentiellement violents du conjoint ;
  • soit elle expérimente, ce qui peut favoriser une remise en question et donc potentiellement un changement de la dynamique conjugale, souhaitable à terme, mais elle prend des risques à court terme au niveau de sa sécurité et/ou de celle de ses enfants.

Dans ce questionnement, nous voyons apparaître la dimension temporelle : certaines interventions envisagées peuvent parfois se révéler bénéfiques à court terme, mais plus problématiques sur le long terme, car elles favorisent involontairement le maintien à l’identique de la relation conjugale. Sécuriser dans l’urgence la situation d’une femme victime de violences et de ses enfants leur permet de se poser dans un temps de crise. Le risque est que passé cette crise, rien n’ait évolué dans la relation et que nous n’ayons contribué, au bout du compte, de par l’apaisement fourni temporairement, qu’à renforcer la dynamique conjugale antérieure à la crise. De façon métaphorique, nous pourrions dire qu’en soignant les plaies du soldat dans l’urgence, nous ne l’aidons pas forcément à trouver la paix, mais nous lui permettons involontairement de repartir en guerre de plus belle.

A l’inverse, des interventions efficaces dans la remise en question d’une dynamique conjugale et familiale à long terme peuvent parfois nécessiter le passage, à court terme, par une expérience potentiellement problématique et risquée au niveau de la sécurité des personnes impliquées. En d’autres termes, selon cette logique, l’abandon du problème (par exemple : l’arrêt des violences) passerait parfois, paradoxalement, par un accroissement du problème à court terme (confrontation aux violences).

Comme souvent, l’intervention « la plus juste », si tant est qu’il y en ait une, se situera certainement entre les deux, c'est-à-dire qu’elle tentera de proposer une expérimentation suffisamment significative, tout en évitant au maximum de mettre en danger les membres du système conjugal et/ou familial, ainsi que les autres membres de la famille et les intervenants (« prise de risque minimale »).

Concrètement, la mise en place de cette expérimentation dépendra des particularités de chaque situation. Ce qu’une femme aura besoin d’expérimenter de façon à cheminer dans sa relation de couple ne sera jamais totalement pareil pour une autre femme. Chaque personne est différente, et chaque relation l’est également. Une variable qui permettra d’orienter en partie le choix de tel ou tel type de « tâches » poussant plus ou moins loin l’expérimentation dans la relation de couple restera, bien évidemment, le niveau de dangerosité perçu par la femme et l’intervenant.

La logique qui sous-tend le choix d’un certain type de « tâche » pourrait être schématisée de la façon suivante :

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Nous voyons ici que l’importance de l’expérimentation sera inversement proportionnelle au niveau de dangerosité perçu. En fonction du niveau d’expérimentation choisi, différents types de tâches pourront être envisagés, le choix d’une tâche bien précise dépendant toujours de la vision du monde de la femme. En effet, pour que cette tâche puisse être acceptée par la femme, il importe que celle-ci « cadre » avec ses représentations.

En définitive, l’objet de cet article était de questionner le positionnement de l’intervenant dans l’intervention auprès des victimes de violences conjugales dans le cadre d’entretiens en ambulatoire. Notre postulat de départ était que les intervenants peuvent constituer, dans les situations de violences conjugales, des moteurs qui, en fonction de la façon dont ils s’impliqueront directement ou indirectement dans la situation, pourront tantôt constituer un levier de changement (modification voire arrêt du processus de violences, changement de type 2[22]), tantôt constituer un argument de non-changement (maintien de la dynamique actuelle, changement de type 1[23]).

Loin de l’illusion d’avoir élaboré une réponse exhaustive à la question du « juste » positionnement de l’intervenant dans ce contexte très complexe de l’intervention en violence conjugale, nous espérons toutefois avoir apporté ici une contribution au travail perpétuel de questionnement des pratiques à l’œuvre au sein du Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion, visant une amélioration constante de nos interventions dans l’intérêt des personnes que nous rencontrons.


Pour citer cette analyse :

Frédéric Bertin, "L’aide et le contrôle lors d’entretiens psycho-sociaux en ambulatoire : levier(s) de changement ou argument(s) de non-changement ?", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), novembre 2013. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/241-l-aide-et-le-controle-lors-d-entretiens-psycho-sociaux-en-ambulatoire-levier-s-de-changement-ou-argument-s-de-non-changement

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Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] Bertin, F., Macors, M.-J., « Entre aide et contrainte en maison d’hébergement : réflexions sur les pratiques de terrain au refuge du CVFE », Liège, CVFE, 2012 (voir http://www.cvfe.be/sites/default/files/doc/ep2012-7-fbertin-entreaideetcontrainterefuge-synth-verdana.pdf).

[2] Afin de simplifier l’exposé, nous considérerons tout au long de cet article les « personnes victimes de violences conjugales et familiales » comme étant les femmes et les auteurs comme étant les hommes. Bien entendu, nous savons que des hommes peuvent également être victimes de violences conjugales et familiales. Ces derniers se révélant toutefois, à l’heure actuelle, moins nombreux que les femmes, nous préférons privilégier le féminin pour parler des victimes et le masculin pour parler des auteurs, de façon à correspondre au plus près à la réalité que nous rencontrons dans nos pratiques.

[3] De façon à éviter tout malentendu, nous allons anticiper sur la suite en décrivant la position de Christen, Heim et al. (2010) que nous partageons ici : l’auteur des violences est responsable de ses actes, mais la victime et l’auteur ont tous deux un rôle à jouer dans le maintien ou la remise en question de la dynamique conjugale et familiale (cfr. infra). Il ne s’agit bien entendu aucunement de déresponsabiliser l’auteur de ses comportements, mais de percevoir qu’au niveau logique de la relation et non plus des individus pris isolément, les deux membres du couple participent à son maintien.

[4] Ce positionnement s’ancre dans la théorie de la crise, développée notamment dans le livre de Mony Elkaïm, Si tu m’aimes, ne m’aime pas : Approche systémique et psychothérapie, Paris, Editions du Seuil, 1989 et 2001.

[5] Christen, M., Heim, C., Silvestre, M. et Vasselier-Novelli, C., Vivre sans violences ? : dans les couples, les institutions, les écoles, Toulouse, Editions Eres, collection Relations, 2010, pages 62-63.

[6] Vasselier-Novelli, C., & Heim, C., « Les enfants victimes de violences conjugales », Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2006, 36(1), p. 187.

[7] Bertin, F., Macors, M.-J., loc. cit.

[8] Cfr. notamment Watzlawick, P., Weakland, JH., Fisch, & R., Furlan, P., Changements: paradoxes et psychothérapie, Paris, Editions du seuil, 1975.

[9] Ibidem.

[10] Voir à ce sujet les ouvrages de Paul Watzlawick, Faites vous-même votre malheur (Paris, Editions du Seuil, 1984) et Comment réussir à échouer : Trouver l’ultrasolution (Paris, Editions du Seuil, 1988).

[11] La victime n’est bien évidemment pas la seule à mettre en œuvre des tentatives de solution inopérantes au sein de la relation. En effet, l’auteur lui aussi, tente de réguler la relation de couple à sa manière. Le recours plus ou moins systématique à la violence peut d’ailleurs en lui-même être considéré comme une tentative de solution inopérante, puisque ce comportement vise à résoudre les difficultés vécues au sein du couple mais ne fait, en définitive, que les accentuer. Ceci nous donne à montrer que les tentatives de solution peuvent se situer à différents niveaux logiques, dans la relation conjugale, la complexifiant et rendant d’autant plus difficile leur « désamorçage » (concernant le concept de « niveaux logiques », il peut être intéressant de se rapporter au livre de Paul Watzlawick, Janet Helmick, et Don D. Jackson, Une logique de la communication, Paris, Editions du Seuil, 1972).

[12] Op. cit., 2010, pp. 64-65.

[13] Bertin, F., Macors, M.-J. (2012), loc. cit., page 6.

[14]A ce sujet, rappelons encore une fois cette célèbre phrase de Watzlawick : « On ne peut pas ne pas communiquer », dont le pendant est « On ne peut pas ne pas influencer ». En conséquence, la neutralité n’est guère possible dès lors que l’intervenant décide d’intervenir dans une situation (Paul Watzlawick, Janet Helmick, et Don D. Jackson, 1972).

[15] Ce terme ne reflète pas la réalité d’un processus d’intervention, qui est fait d’aller-retour, de recouvrements entre différentes démarches complémentaires, de telles sortes que celles-ci en deviennent, dans la pratique, difficiles à distinguer. Dans cet article, nous proposons cependant de séparer de façon « artificielle » différentes « étapes »pour favoriser la clarté de notre propos.

[16] Bertin, F., Macors, M.-J. (2012), loc. cit.

[17]Minuchin, S., Familles en thérapie, Paris, Editions ERES, collection Relations, 1998.

[18] Cité dans l’ouvrage de Watzlawick, Le langage du changement : Eléments de communication thérapeutique, Paris, Editions du Seuil, 1980.

[19] Exemple : les femmes victimes de violences ont souvent la croyance qu’elles sont coupables des violences qu’elles subissent, qu’elles ne pourraient pas vivre sans leur conjoint, etc.

[20] Cfr. le risque d’« escalade symétrique » et de « bras de fer » entre l’intervenant et la femme, dont nous parlions au début de cet article.

[21] Nous faisons ici référence au cycle de la violence conjugale dans lequel une période de lune de miel succède à un temps de crise, ce qui favorise le maintien de la dynamique conjugale « à l’identique ».

[22] Cfr. notamment Watzlawick, P., Weakland, JH., Fisch et R., Furlan, P., Changements: paradoxes et psychothérapie, Paris, Editions du seuil, 1975.

[23] Ibidem.

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