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Une nouvelle loi belge sur l’éloignement des conjoints violents

La Chambre a voté début mai 2012 une loi sur l’« interdiction temporaire de résidence en cas de violence domestique » précisant la législation déjà existante sur l’attribution de la résidence familiale dans les situations de violence conjugale. Cette loi, qui s’inspire des législations plus anciennes existant en Autriche et au Luxembourg, mais qui paraît largement moins élaborée, pose des questions aux associations qui s’occupent des victimes et des auteurs de violence conjugale.

 

Le 3 mai 2012, la chambre des représentants a adopté une loi concernant l’« interdiction temporaire de résidence en cas de violence domestique ». Ce texte complète l’arsenal juridique qui concerne l’attribution de la résidence familiale[1]. La loi du 28 janvier 2003 (visant à l'attribution du logement familial au conjoint ou au cohabitant légal victime d'actes de violence physique de son partenaire) comportait déjà des mesures visant à éloigner le conjoint violent de la résidence familiale, à, la fois sous des aspects judiciaires et sous des aspects policiers.

Eloigner le conjoint violent : une continuité

Que disait la loi de janvier 2003 ? : « Dans le cadre d’une procédure pénale engagée pour coups et blessures, le juge peut placer l’agresseur en détention provisoire, permettant ainsi d’éloigner ce dernier de la victime. Il peut également laisser l’agresseur en liberté sous conditions, avec l’interdiction, pendant au maximum trois mois, d’entrer en contact avec la victime et de fréquenter certains lieux. Si l’agresseur ne respecte pas les conditions qui lui sont imposées, il peut faire l’objet d’un mandat d’arrêt »[2].

Un document de travail du Sénat précisait quant à lui : « Par ailleurs, la loi du 28 janvier 2003 permet au juge civil d’accorder à la victime de violences conjugales la jouissance de la résidence familiale. Il suffit que la victime le demande et qu’il existe des ‘indices sérieux’ de la violence du partenaire, qu’il s’agisse de l’époux ou du cohabitant »[3].

La loi innovait également en autorisant la police à pénétrer dans le domicile afin de dresser procès verbal, à contraindre le cas échéant le conjoint violent à quitter le domicile ou à ne pas approcher son épouse. Elle peut aussi l’arrêter pour 24 h, ce qui ne paraît pas suffisant pour obtenir du juge civil l’attribution du domicile à la victime[4].

D’autre part, la circulaire « Tolérance zéro », mise en place en 2004 dans l’arrondissement de Liège par la Procureur du Roi Anne Bourguignont, prévoyait elle aussi, parmi ses priorités, d’éloigner l’auteur de violence en le forçant à vivre un certain temps dans une maison d’accueil pour les sans-abri[5]. Ce faisant, elle s’inspirait d’un dispositif mis en œuvre par le Procureur de la République Luc Frémiot au Parquet de Douai (France)[6].

La nouvelle loi de 2012 sur l’« interdiction temporaire de résidence en cas de violence domestique » s’inspire d’exemples étrangers comme l’Autriche et le Luxembourg, sur lesquels nous allons revenir. Son objectif : permettre « au procureur du Roi de décider de l’éloignement temporaire du logement familial d’une personne majeure en cas de menaces graves et immédiates pour la sécurité des personnes y vivant de manière non occasionnelle. Cette interdiction est de dix jours au maximum et implique l’obligation de quitter immédiatement le domicile et l’interdiction d’entrer en contact avec les personnes y résidant »[7].

La loi autrichienne de 1997

L’Autriche est le premier pays européen à avoir mis en œuvre une loi tendant à éloigner l’auteur de violence conjugale du domicile familial : « la loi du 30 décembre 1996 relative à la protection contre la violence au sein de la famille, entrée en vigueur le 1er mai 1997 (…) a modifié le code civil, le code de procédure civile, ainsi que la loi sur la police »[8].

En deux mots, « elle permet à la justice civile d’édicter au bénéfice de la victime des ordonnances de protection qui peuvent en particulier prévoir la jouissance exclusive du logement familial, donne à la police la possibilité d’expulser l’auteur des violences conjugales de ce logement en attendant la décision du juge et organise la coopération entre la police, la justice et les structures locales d’assistance aux femmes »[9].

En vertu d’une modification du code de procédure civile, toute victime de violence physique ou psychologique de la part de son conjoint (ou même uniquement de menaces) peut demander au tribunal de prendre une « ordonnance de protection » obligeant l’auteur des faits à « quitter le domicile familial et ne pas y revenir ; à ne pas se rendre dans certains lieux, comme le lieu de travail de la victime ou l’école fréquentée par les enfants ; à s’abstenir de toute rencontre et de toute tentative d’entrer en contact avec elle »[10]. Une telle ordonnance, valable trois mois au maximum, mais prolongeable en cas de séparation, est exécutée immédiatement par un huissier qui peut également faire appel aux forces de l’ordre.

Mais la loi autrichienne va plus loin : un article spécialement introduit dans la loi sur la police (38a) permet « aux forces de l’ordre d’expulser l’auteur de violences physiques du domicile de la victime et de lui interdire d’y revenir pendant plusieurs jours. La victime peut ainsi bénéficier d’une mesure de protection très rapidement, avant même que le juge n’ait été saisi »[11].

L’auteur de violences ou même simplement de menaces est éloigné pour une période 10 jours du domicile et de ses abords, il doit restituer ses clés et donner une adresse de contact à la police. Si, après trois jours, il apparaît qu’il ne respecte pas les consignes, il doit payer une amende 360€ et peut être écroué en cas de récidive. Un tiers des victimes profitent de ce délai pour introduire une demande d’ordonnance de protection au juge civil[12].

Le recours à l’article 38a est de plus en plus fréquent au fil du temps : de 1997 à 2003, on est passé de 1450 recours à 4179. Dans 90% des cas, les recours sont introduits par des femmes[13].

La loi a également pris d’autres dispositions, notamment la création d’un « bureau d’intervention » dans chacun des länder du pays : ils sont chargés de l’assistance juridique aux victimes et participent à la sensibilisation des forces de l’ordre à la violence conjugale et à la responsabilisation des auteurs. Ils manquent malheureusement de moyens de financement[14].

La loi luxembourgeoise de 2003

« La loi du 8 septembre 2003 sur la violence domestique prévoit l’expulsion des auteurs de violence domestique. Lors de son intervention la police peut décider, avec l’accord du procureur d’État, d’éloigner l’auteur de violences de son foyer, pendant une durée de 10 jours »[15].

C’est donc la police qui est chargée par la loi luxembourgeoise d’expulser éventuellement l’auteur de violence, mais elle doit au préalable obtenir l’aval du Procureur d’Etat. Quant elle appelée pour des faits de violence au sein d’un couple, la police doit réunir des informations sur les protagonistes (domiciliation, état civil, liens juridiques) ; ensuite recueillir des preuves qu’il y a bien des actes de violence et, enfin, faire rapport au Procureur qui décidera s’il y a ou non lieu d’éloigner le conjoint violent[16].

Selon le site violence.lu, les objectifs de la loi sont :

  • Protéger urgemment la victime qui se trouve dans une dans une situation de danger en ce qui concerne sa vie ou son intégrité physique et lui permettre de rester dans son milieu habituel.
  • Éloigner l’auteur de la victime afin de permettre à celle-ci de récupérer et d’entreprendre certaines démarches avec l’aide du service d’assistance aux victimes de la violence domestique en ce qui concerne la situation vécue.
  • Permettre à la victime d’être, immédiatement le jour même du prononcé de la mesure d’expulsion, prise en charge par un service d’assistance aux victimes de la violence domestique agréé.
  • Responsabiliser et obliger l’auteur à prendre conscience de ses actes et lui faire supporter les conséquences de ses actes en l’obligeant à quitter son milieu habituel.
  • Interdire à l’auteur présumé l’accès à son domicile et ses dépendances pendant 10 jours inclus, même si la victime ou les enfants ou toute autre personne proche cohabitant avec l’auteur consent à le laisser rentrer voire lui demander de revenir.

En cas d’expulsion, l’auteur de violence est informé qu’il risque des sanctions pénales s’il ne respecte l’interdiction qui lui est faite, il doit donner toutes ses clés aux policiers et fournir une adresse où on peut le contacter (à défaut, ce sera l’adresse de la maison communale). Dans les dix jours, la victime peut, quant à elle, demander à un juge de porter à trois mois l’interdiction faite à son conjoint.

La loi luxembourgeoise donne également un statut légal aux services d’assistance aux victimes de la violence domestique, elle met en place « un comité de coopération entre les professionnels dans le domaine de la lutte contre la violence domestique, réunissant des acteurs travaillant sur la thématique à savoir l’État, et les services d’assistance aux victimes de la violence domestique » et elle prévoit « la collecte de statistiques notamment ventilées par sexe, âge et relation entre auteur et victime et reprenant entre autres le nombre de plaintes, de mesures d’expulsion, d’interventions sociales et les infractions en cause par le biais du Comité de coopération entre les professionnels dans le domaine de la lutte contre la violence »[17].

Après une évaluation réalisée à la demande du Ministère de l’égalité des chances et la consultation d’experts, de juristes et du Conseil national des femmes, le gouvernement luxembourgeois a déposé un nouveau projet de loi en 2010, afin d’introduire certaines modifications, à la demande de la Commission de la Famille et de l’Egalité des Chances. Il se serait agi d’introduire la possibilité du recours à une procédure de médiation entre les conjoints, de porter la durée de l’éloignement à 14 jours et de fixer une distance maximale à laquelle le conjoint éloigné aurait pu s’approcher du domicile familial. Cependant, les députés luxembourgeois n’ont pas accepté de ratifier ces propositions, pas plus qu’ils n’ont admis qu’il puisse y avoir un recours contre la décision d’éloignement[18].

La nouvelle loi belge sur l’« interdiction temporaire de résidence »

La loi du 3 mai 2012 s’inspire de ces deux exemples, mais le dispositif mis en place est relativement moins développé que ceux d’Autriche et du Luxembourg.

L’article 3 de la loi précise : « S’il ressort de faits ou de circonstances que la présence d’une personne majeure à la résidence représente une menace grave et immédiate pour la sécurité d’une ou de plusieurs personnes qui occupent la même résidence, le procureur du Roi peut ordonner une interdiction de résidence à l’égard de cette personne. L’interdiction de résidence entraîne, pour la personne éloignée, l’obligation de quitter immédiatement la résidence commune et l’interdiction d’y pénétrer, de s’y arrêter ou d’y être présente (…), d’entrer en contact avec les personnes qui occupent cette résidence avec elle. L’interdiction de résidence s’applique pendant dix jours maximum à compter de sa notification à la personne concernée »[19].

C’est par une ordonnance écrite que le Procureur du Roi concrétise l’interdiction de résidence. Celle-ci comprend :

  • une description du lieu et la durée d’application de la mesure;
  • les faits et circonstances qui ont donné lieu à ordonner l’interdiction de résidence, visée au § 1er;
  • les noms des personnes avec lesquelles la personne éloignée ne peut plus entrer en contact;
  • les sanctions qui pourront être imposées en cas de non-respect de l’interdiction[20].

L’ordonnance est communiquée à la personne éloignée, aux occupants du même domicile et au chef de corps de la police locale. Le procureur contacte « le service d’accueil des victimes de son parquet afin qu’il assiste et informe les personnes qui occupent la même résidence que la personne éloignée »[21]. Dans les 24 heures, la personne éloignée doit communiquer au procureur du Roi l’adresse où on peut le joindre.

Au plus tôt, le procureur du Roi communique l’ordonnance d’interdiction de résidence au juge de paix du canton qui doit fixer l’audience de la cause dans le délai de 10 jours fixé pour l’interdiction (article 4). A l’audience, le juge de paix peut soit lever l’interdiction, soit la prolonger de trois mois au maximum (article 5).

Votée en mai, la nouvelle loi sera appliquée à partir du 2 janvier 2013. Une circulaire prévoyant les conditions d’application de la loi a été rédigée conjointement par la Ministre de la Justice, Mme Annemie Turtleboom, par la Ministre de l’Intérieur, Mme Joëlle Milquet et par le Collège des Procureurs généraux[22].

Premières observations

On constate tout de suite que, par rapport aux lois autrichienne et luxembourgeoise, la loi belge revêt un aspect abstrait et judiciaire, quasi administratif et qu’hormis la communication du cas au service d’accueil des victimes du parquet, elle ne prend pas de précaution spéciale pour protéger la famille du conjoint éloigné.

Il est également notable qu’elle ne confie pas expressément de rôle actif à la police à laquelle on se contente de faire parvenir une copie de l’ordonnance, quand les autres lois, et notamment la luxembourgeoise, insistaient fortement sur le rôle de contrôle et de protection joué par les forces de l’ordre, en liaison avec le procureur.

Il faut noter que c’est à dessein que la loi emploie le terme de « résidence » et non celui de « domicile ». A ce sujet, la circulaire précise : « Le législateur a voulu s’écarter de la notion de domicile au profit de celle de résidence qui désigne le lieu de vie. Le simple fait d’avoir établi dans les lieux sa résidence – même occasionnelle – permet d’envisager l’application de la mesure d’interdiction »[23].

Les associations de défense des victimes et celles qui travaillent avec les auteurs ont évidemment observé avec attention le nouveau texte de loi. Nous examinerons leurs points de vue dans un prochain article.


Pour citer cette analyse :

René Begon, "Une nouvelle loi belge sur l’éloignement des conjoints violents", Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2012. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/258-une-nouvelle-loi-belge-sur-l-eloignement-des-conjoints-violents

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Avec le soutien du Service de l’Education permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie.


Notes :

[1] Loi du 28 janvier 2003 visant à l'attribution du logement familial au conjoint ou au cohabitant légal victime d'actes de violence physique de son partenaire, et complétant l'article 410 du Code pénal.

[2] Documents de travail du Sénat, série « Législation comparée », La lutte contre les violences conjugales, pages 30-31.

[3] Ibidem.

[4] Ibidem.

[5] Bourguignont (Anne), « Tolérance zéro. Motivations, principes & évaluation de la Circulaire du Parquet de Liège », in L’Observatoire, n° 48, 2005-2006, pages 30-34.

[6] Frémiot (Luc), « L’expérience pilote pluridisciplinaire du Parquet de Douai », in L’Observatoire, n° 48, 2005-2006, pages 53-55.

[7] Chambre des représentants, « Rapport de la Commission de la Justice », 27 avril 2012, page 4.

[8] La lutte contre les violences conjugales, Documents de travail du Sénat, op. cit., page 23.

[9] Ibidem.

[10] Ibidem, page 24.

[11] Ibidem, page 25.

[12] Ibidem, page 25.

[13] Ibidem, page 26.

[14] Ibidem, pages 26-27.

[15] Violence.lu (site émanant du Ministère luxembourgeois de l’égalité des chances).

[16] Ibidem.

[17] Ibidem.

[18] Selon Mme Sylvie Andrich-Duval, rapportrice à la Chambre des députés du Grand-Duché de Luxembourg.

[19] Chambre des représentants de Belgique, « Projet de loi relatif à l’interdiction temporaire de résidence en cas de violence domestique », 27 avril 2012, page 3.

[20] Ibidem, pages 3-4.

[21] Ibidem, page 4.

[22] Delepierre (Frédéric), « Eloigner les auteurs de violence conjugale », in Le Soir, 27 décembre 2012, page 7.

[23] Ibidem.

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